
Anne Twomey, avocate australienne de droit constitutionnel, a travaillé à la Haute Cour de justice de l’Australie en tant qu’agente principale de recherche, ainsi qu’au Parlement fédéral en tant que secrétaire d’un comité du Sénat sur les affaires légales et constitutionnelles. Elle a aussi travaillé au gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud, au sein duquel elle dirigeait la direction des services juridiques du secrétariat du Cabinet, et conseillait le premier ministre en matière de questions légales et constitutionnelles. En mars 2003, elle a prononcé une allocution lors d’une conférence du Dialogue mondial sur les constitutions organisée par le Forum des fédérations et l’Association internationale des centres d’études du fédéralisme (IACFS), à Philadelphie. C’est là que Carl Stieren, du Forum des fédérations, s’est entretenu avec elle.
Forum :
Parlez-nous des élections aux parlements des états en Australie. Avez-vous un régime de circonscription uninominale ou une représentation proportionnelle?
Twomey :
Il existe des différences entre les divers parlements des états. Il faut donc d’abord savoir de quelle juridiction nous parlons. En général, à la chambre basse, il s’agit d’une représentation de l’électorat : chaque député représente une circonscription électorale en fonction de la population. Il y a davantage de diversité dans les chambres hautes. Les parlements des états sont tous bicaméraux, à l’exception de celui du Queensland. Les chambres hautes sont plutôt élues selon une forme de représentation proportionnelle. Ainsi, en Nouvelle-Galles du Sud, l’électorat, c’est l’ensemble de l’état. Par contre, la situation est totalement différente au Victoria où des électorats plus grands élisent un certain nombre de membres.
Forum :
Qu’est-ce que l’on appelait le « tablecloth ballot » (bulletin de vote de la grandeur d’une nappe) en Nouvelle-Galles du Sud?
Twomey :
En Nouvelle-Galles du Sud, la chambre haute a en fait été pendant très longtemps une chambre nommée. Nous n’avons commencé à l’élire directement que dans les années 1970. Et à l’époque, le système électoral en était un de représentation proportionnelle avec quota très bas. De plus, les électeurs pouvaient voter pour un parti en particulier, mais c’est le parti qui choisissait comment répartir les préférences. Ça signifiait que les négociations entre partis mineurs pouvaient faire en sorte que des représentants de ces partis étaient élus. Être élu pour un mandat de huit ans représente certains avantages, comme celui d’avoir droit à une pension à vie. Les postes à la chambre haute sont donc devenus très convoités, ce qui a créé une prolifération de petits partis présentant des candidats. Aux élections de 1999, il y avait tant de partis que le bulletin de vote avait atteint les dimensions d’une nappe : il mesurait deux pieds (0,6 mètre) de largeur et deux de hauteur, si bien qu’il était presque impossible de le remplir dans l’isoloir. Après ces élections, il y a eu un grand mouvement de réforme pour tenter d’éliminer ce bulletin hypertrophié, et c’est alors que j’ai participé à l’élaboration d’une loi à cet égard.
Forum :
Comment cette loi était-elle formulée? A-t-on augmenté le pourcentage de voix qu’un parti doit obtenir pour élire un membre?
Twomey :
Diverses mesures ont été proposées. On proposait entre autres que les partis paient des droits d’inscription pour se présenter aux élections, de façon à décourager les partis qui n’étaient pas sérieux. Une autre proposition voulait que les partis soient pourvus d’un certain nombre de membres avant de pouvoir paraître sur la liste. On proposait également des mesures qui modifiaient la méthode électorale. Ce qu’on a aujourd’hui, c’est un système préférentiel optionnel basé sur la représentation proportionnelle. C’est un peu complexe, mais ça signifie que vous pouvez donner votre première préférence au Parti A, et que votre voix est transférée à tous les candidats du parti. Cependant, si vous avez d’autres priorités, vous devez l’indiquer par une seconde voix au Parti B (ou C ou D, etc), qui est alors transférée à tous ces candidats respectifs. Auparavant, si vous votiez pour un parti, c’est ce parti qui déterminait vos préférences.
Forum :
Autrement dit, c’était un scrutin de liste?
Twomey :
En effet, mais maintenant le scrutin de liste est tel que vous pouvez voter pour un parti en particulier, et que ce n’est plus ce parti qui détermine vos préférences. C’est ce qui a mis fin aux négociations entre partis qui conduisaient à la prolifération de petits partis qui tentaient d’être élus sur la base d’ententes préférentielles. Nous avons également proposé une réforme de
Fédérations vol. 3, no 4, novembre 2003
la Constitution plus importante afin d’éliminer les impasses Twomey :
entre les deux chambres. Mais ça aurait nécessité un référendum car certaines parties de la Constitution de l’état sont enchâssées. Certaines parties peuvent être modifiées par une loi ordinaire, mais d’autres ont besoin d’un référendum. Malheureusement, nous cherchions un soutien bipartite pour le référendum car il nous semblait que c’était le moyen le plus probable d’y arriver. Plus tard, les partis de l’opposition ont renoncé à leur soutien, et il a fallu abandonner le référendum.
Forum :
Quand la proposition référendaire a-t-elle échoué?
Twomey :
En 1999 je crois, juste après les élections. Nous avons alors dû nous contenter d’un type de réforme limitée. Cela a engendré un système quelque peu étrange et dénaturé car il y avait certaines dispositions mineures dans la Constitution que nous ne pouvions pas changer et que nous avons dû incorporer. Le résultat, c’est un système électoral qui ne viendrait à l’esprit de personne si on partait à zéro. Mais étant donné que certaines parties de la Constitution sont enchâssées, il faut composer avec si on n’est pas prêt à tenir un référendum; c’est ainsi qu’on obtient des distorsions surprenantes dans le système électoral.
Forum :
Ainsi le résultat final était-il un bulletin de vote de la grandeur d’un napperon?
Twomey :
Oui, presque. Hier (22 mars) nous avons tenu les plus récentes élections de l’état, et le bulletin de vote était beaucoup plus pratique. Il y avait encore un nombre raisonnable de partis – le problème, c’est qu’il ne faut pas décourager la démocratie, ni les gens d’exercer leur droit de vote et de se présenter.
Forum :
Sur ce bulletin y avait-il des partis autres que les deux grands partis australiens?
Twomey :
Oui, on en comptait entre 10 et 15. Il y avait un certain nombre de partis déjà représentés à la chambre haute à cause du système de représentation proportionnelle selon lequel aucun parti majeur n’obtient une majorité. Il y a ce que l’on appelle un «cross bench » (partis d’équilibre), c’est-à-dire un certain nombre de petits partis indépendants qui détiennent l’équilibre. Ainsi, à l’heure actuelle, nous avons un parti majeur, et une coalition de deux partis qui forment l’opposition principale. On trouve également dans ce « cross bench » quelques partis mineurs et des micro-partis, constitués des gens élus en 1999. Je pense par exemple à cet homme du parti Outdoor Recreation dont la principale politique est que toute personne soit autorisée à circuler en quatre roues motrices dans les parcs nationaux. Il a été élu en 1999 pour un mandat de huit ans.
Forum :
Dites-nous comment l’on modifie les constitutions – fédéral et étatiques – en Australie. Un référendum est-il nécessaire?
Oui, car la Constitution fédérale est totalement enchâssée et ne peut être modifiée que par référendum. Il existe également des conditions supplémentaires : il faut une majorité d’électeurs dans l’ensemble du pays, et en plus, dans une majorité d’états. Ça signifie qu’il faut des majorités dans quatre des six états pour qu’un référendum fédéral soit approuvé, et qu’un changement soit apporté à la Constitution fédérale. Les constitutions des états sont plus souples; dans la plupart des cas, on peut modifier les dispositions par une loi ordinaire.
Forum :
Racontez-nous un peu ce fameux référendum australien sur la république, celui dont le monde a entendu parler. Si je ne m’abuse, on avait proposé trois options. Un référendum sur l’adoption d’une forme de gouvernement républicain est-il encore probable?
Twomey :
Le référendum sur la république a eu lieu en 1999. Les choix offerts ont fait l’objet de certaines controverses. Les principaux liens unissant l’Australie au Royaume-Uni avaient déjà été coupés; il s’agissait donc plutôt d’un changement symbolique, mais dans la Constitution, on trouve encore beaucoup de références importantes à la Reine. La Reine nomme le gouverneur général, par exemple. Afin de se départir de ces références, on a proposé une république, et il a donc fallu organiser un référendum. Les sondages d’opinion indiquaient qu’une majorité d’Australiens soutenaient l’idée d’une république pour écarter du système toute référence à la Reine. Le problème était : comment la remplacer? Comment le gouverneur général – qui serait alors nommé président – seraitil choisi? Dans le système actuel, la Reine nomme le gouverneur général après consultation avec le premier ministre. En réalité, c’est donc le premier ministre qui choisit le gouverneur général; il peut aussi s’en défaire en conseillant à la Reine de le faire. Bien évidemment, lorsque la population doit se prononcer sur une telle proposition, elle n’est pas portée à vouloir donner ce pouvoir au premier ministre seulement. Si la nation en tant qu’entité élisait le président, il pourrait alors estimer avoir le mandat d’agir de manière opposée aux conseils du premier ministre, ce qui troublerait toutes les conventions qui soutiennent le système constitutionnel. D’un côté, on avait donc les avocats de droit constitutionnel et les personnes désireuses de maintenir le système de gouvernement actuel, qui soutenaient qu’il n’était pas approprié d’élire directement le président. De l’autre, la population disait : « Bien, nous voulons avoir notre mot à dire sur la façon dont le président est choisi ». Conséquence : le référendum s’est avéré un échec puisqu’il n’y a eu aucun accord dans l’ensemble du pays.
NDLR :
Suite aux élections du 22 mars en Nouvelle-Galles du Sud, cinq partis se sont mérité un des 42 sièges de la chambre haute : les démocrates australiens, le parti Shooters, le parti Unity, le parti One Nation et le parti Reform the Legal System. Le représentant élu du parti Outdoor Recreation a démissionné après avoir été convaincu de corruption; selon toute probabilité, un autre membre du parti le remplacera bientôt. De plus, les Verts ontobtenu trois sièges, et les démocrates-chrétiens, deux. À la chambre basse, avec 93 circonscriptions uninominales, les seuls partis représentés sont le Parti travailliste australien, le Parti libéral, le Parti national et six indépendants.
Fédérations vol. 3, no 4, novembre 2003