L’élection présidentielle américaine de l’an 2000 s’est révélée pour le moins déroutante aux yeux du monde entier. Le candidat qui a obtenu la majorité des voix a perdu, et, dans plusieurs états, le personnel électoral n’a pas réussi à procéder à une opération aussi élémentaire que le décompte des voix. Le résultat de l’élection a finalement été décidé par la Cour suprême, et cette controverse a conduit les Américains – et lereste du monde – à se demander comment les États-Unis allaient résoudre leurs problèmes électoraux.

Au Congrès, cette polémique a relancé la question d’un aggiornamento du mode d’élection, ce qui s’est traduit par au moins deux projets nationaux de réforme, qui ont avancé des recommandations quant à la manière d’améliorer le système. Ces projets – avec la législation qui les accompagne – fournissent le cadre qui permet de comprendre de quelle manière les Américains voteront différemment lors de l’élection présidentielle du 2 novembre 2004, par rapport à celle de 2000.

Le collège électoral serait-il non démocratique?

En 2000, le candidat démocrate Al Gore a obtenu le plus devoix mais a perdu l’élection présidentielle. C’est qu’aux États-Unis, le président n’est pas élu strictement sur la base du nombre de voix qu’il récolte, mais il l’est par un « collège électoral ». Chaque état dispose d’un nombre de « grands électeurs » équivalent à celui de ses députés au Congrès, Chambre des représentants et Sénat réunis. Ces grands électeurs expriment ensuite leur vote pour le président, en fonction du candidat qui a reçu le plus de voix dans leur état. Il en résulte qu’un état très peu peuplé comme le Wyoming obtient trois voix, alors que la Californie n’en a que 55, même si sa population représente environ 72 fois celle du Wyoming. Cette formule remonte à la création de la Constitution, quand les petits états voulaient garder leur mot à dire dans l’élection présidentielle, et que les pères fondateurs ne voulaient pas que des citoyens « sans éducation » n’élisent directement le président.

Nombreux sont ceux qui pensent que ce système est devenu anachronique au fil du temps, et leurs critiques ont temporairement gagné une nouvelle actualité lorsque le décompte de

Tova Andrea Wang est agente principale de programme et titulaire d’une chaire sur la démocratie à la Century Foundation. Elle concentre ses recherches sur la réforme des élections, les droits politiques et les libertés civiles.

Thad Hall est agent de programme à la Century Foundation et coauteur (avec Michael Alvarez) de l’ouvrage intitulé « Point, Click, and Vote: The Future of Internet Voting ».

Ces deux auteurs ont travaillé pour la Commission nationale sur la réforme des élections fédérales, l’une des deux commissions qui ont fait des recommandations relatives à la réforme du processus électoralaux États-Unis.

l’élection de 2000 a été connu. Plusieurs projets de loi ont été déposés devant le Congrès depuis lors, qui visaient à réformer ou abolir le collège électoral. Cependant, aucune des propositions majeures de réforme des élections élaborées suite à l’élection de 2000 n’a véritablement remis en cause cette institution, notamment parce qu’il faudrait modifier la Constitution pour y parvenir – une idée politiquement mort-née.

L’existence du collège électoral peut non seulement conduire à des incongruités dans le résultat des élections, elle a aussi un impact considérable sur la manière dont les candidats mènent leur campagne. Classiquement, ceux-ci n’engagent des moyens et ne se battent vraiment que dans les états qui ne sont pas dominés par un parti politique. Pour l’élection de 2004, on s’attend à ce qu’il n’y ait une véritable compétition entre les deux partis principaux que dans 18 des 50 états.

Avec un électorat qui reste si étroitement divisé, il est encore une fois possible qu’en 2004, le candidat qui obtienne le plus de voix ne soit pas élu président.

Les promesses de subventions aux agences électorales ne se sont pas concrétisées

Après que l’idée de réformer le collège électoral eut été balayée, la plupart des propositions de réforme des élections se sont reportées sur l’amélioration de la procédure d’enregistrement des électeurs, du vote lui-même et du décompte du scrutin. En 2002, le Congrès a adopté la loi Help America Vote Act (HAVA) pour encourager le processus de réforme des élections.

Dans ses grandes lignes, la loi HAVA a pour but d’encourager les états à procéder à certaines réformes électorales et de les doter de moyens substantiels pour y parvenir. La loi a promis de leur donner presque quatre milliards de dollars entre 2003 et 2005 pour améliorer l’enregistrement des électeurs, les systèmes de vote, le recrutement et la formation des scrutateurs, mais aussi l’instruction civique. On a aussi demandé aux états de respecter certaines normes en ce qui concerne les machines à voter, d’édicter de nouvelles procédures pour l’enregistrement et l’identification des électeurs, de permettre à un électeur dont l’inscription est mise en cause de déposer un « vote provisoire », et enfin de réorganiser le mode d’enregistrement des électeurs.

Un des aspects les plus remarquables de la loi HAVA est le fait que c’est la première fois que le gouvernement fédéral investit ses propres deniers dans la gestion des élections. Jusqu’à présent, celles-ci relevaient exclusivement des états et des collectivités locales. Le Congrès et le président n’ont malheureusement pas doté ce texte de tous les moyens annoncés. En 2003, le Congrès n’a débloqué qu’un millard et demi de dollars – 70 pour cent de la somme initialement

Fédérations vol. 4, no 2, juillet 2004

décompte des voix, les études menées

problèmes qui peuvent surgir lors du

domicile pour qu’il doive s’inscrire à

nouveau. Comme un tiers de la population

après la débâcle de 2000 ont fait ressortir

américaine change d’adresse tous les deux

d’autres problèmes touchant les bulletins

ans, cela peut devenir assez pénible.

sur papier. Ils ne sont par exemple pas

accessibles aux aveugles, qui doivent se

La loi HAVA tente de résoudre ce problème

reposer sur un tiers valide pour leur

en instaurant l’enregistrement des électeurs

servir d’interprète et voter à leur place.

au niveau des états, qui seront dotés de prévue – pour mettre la loi HAVA en application. Pire encore, des retards dans la mise sur pied de la nouvelle Commission fédérale d’assistance aux élections, qui est chargée de répartir ces fonds entre les états, a empêché plus de la moitié de cette somme d’être distribuée. Un milliard supplémentaire prévu pour 2004 n’a pas non plus été alloué aux états. Pour 2005, le président a proposé de ne dépenser que 65 millions de dollars, soit dix pour cent de ce que le Congrès avait annoncé.

Si vous ne vous êtes pas inscrits, vous ne pouvez pas voter!

Les États-Unis ont de ce point de vue une particularité presque unique au monde, en ce sens qu’ils demandent à leurs citoyens de prendre l’initiative de s’inscrire pour le scrutin. Concrètement, la première fois qu’un électeur veut déposer son bulletin de vote lors d’une élection, il doit d’abord s’enregistrer auprès des responsables locaux des élections, en règle générale au moins 30 jours avant le scrutin. Mais parce que les listes électorales ont été gérées jusqu’à présent par les gouvernements locaux, il suffit qu’un électeur change de

fonds fédéraux pour mettre sur pied des bases de données répertoriant tous les électeurs à l’échelle de l’état. Celles-ci doivent être mises en réseau pour garantir que les listes électorales soient aussi exactes que possible. Bien que la loi HAVA ait donné aux états jusqu’en 2004 pour mettre sur pied ces bases de données, la plupart d’entre eux ont trouvé des raisons valables pour les reporter jusqu’en 2006. En 2004, dix états seulement disposeront d’un système intégré. Il s’ensuit que dans la plupart des états, l’enregistrement des électeurs se déroulera exactement comme en 2000, avec la possibilité que des électeurs se rendent au bureau de vote le jour du scrutin pour découvrir qu’en fait ils ne sont pas inscrits, alors qu’ils pensaient l’être.

La loi HAVA permet d’atténuer ce problème en donnant la possibilité à un électeur qui se présente au scrutin en croyant être enregistré, alors qu’il ne figure pas sur les listes électorales, de déposer un « vote provisoire ». L’état déterminera ultérieurement si ce vote doit être comptabilisé.

Finalement, la loi HAVA exige qu’une personne enregistrée pour la première fois dans une circonscription, par voie postale, fasse la preuve de son identité, soit lors de l’inscription, soit lors du vote. Cet élément de la loi a suscité une vive controverse : de nombreux défenseurs des libertés civiles se sont montrés préoccupés par le fait que certains groupes, tels que les personnes âgées, les minorités ou les pauvres, ne disposent pas des documents requis. De plus, cette exigence peut être appliquée de manière inadéquate ou discriminatoire par le personnel de certains bureaux de vote.

Plus de trace écrite lors des votes?

Les États-Unis sont différents de nombreux pays dans leur procédure d’enregistrement des électeurs, et ils le sont également dans le déroulement des élections. Presque tous les états organisent simultanément les élections au niveau de la fédération, de l’état et de la municipalité, les électeurs utilisant le même bulletin pour tous les scrutins, depuis le président desÉtats-Unis jusqu’au shérif du village. Du fait de cette complexité, presque tous les électeurs votent sur des bulletins qui peuvent être lus électroniquement, de manière à ce que les différents scrutins puissent être décomptés en une seule opération.

Suite à l’élection de 2000, les bulletins à cartes perforées ont été considérés comme les principaux coupables de la mise en cause des résultats. La loi HAVA a encouragé les états à moderniser leur système de vote, de sorte que de nombreuses circonscriptions sont allées de l’avant et ont abandonné les systèmes basés sur le papier au profit de l’électronique et de l’informatique. Mais en même temps, en raison des problèmes de fraude et de financement, de nombreuses circonscriptions ont refusé de bouger. En 2004, quelque 32 millions d’électeurs utiliseront encore des machines à voter dotées de cartes perforées.

Chose intéressante, alors que tout un chacun est désormais au courant des

De la même manière, plusieurs études

indiquent que les votes des électeurs qui

appartiennent à des minorités et qui utilisent des bulletins sur papier sont plus facilement susceptibles de ne pas être décomptés.

En raison des soucis qui frappent les systèmes sur papier, la proportion estimée d’électeurs utilisant un équipement électronique devrait grimper de 13 à 29 pour cent. La transition des bulletins sur papier au vote électronique ne s’est cependant pas déroulée sans heurts dans la plus grande partie du pays. Dans les années 90, de nombreuses entreprises se sont mises à élaborer et à mettre sur le marché de nouveaux systèmes de vote électronique, mais bon nombre d’entre eux ne sont pas toujours bien conçus. Au surplus, une série d’erreurs commises par ces fabricants – la plus touchée étant la firme Diebold – au cours des deux dernières années, ont sérieusement entamé le crédit d’un passage vers le vote électronique.

Électeurs et élus sont de plus en plus nombreux à s’alarmer de l’hypothèse selon laquelle des machines à voter électroniques pourraient être victimes de dysfonctionnements ou de piratages. Le problème est qu’avec uniquement un décompte interne sur de tels appareils, il n’y a plus aucun moyen de recompter de façon indépendante en cas de résultats très serrés, voire contestés. Ces deux dernières années, plusieurs études et quelques incidents ayant impliqué des scrutins réels ont prouvé que ces craintes devaient être prises au sérieux.

De nombreux états envisagent désormais d’exiger de la part de tous les systèmes de vote électronique une sorte de « preuve sur papier validée par les électeurs ». Ces derniers pourraient donc vérifier une version sur papier de leur vote électronique et émettre à la fois un vote électronique et un vote sur papier.

Malheureusement, l’utilisation limitée de ces « preuves sur papier validées par les électeurs » à travers le monde rappelle

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Suite de la page 7 (États-Unis)

qu’un tel système peut se révéler difficile à mettre sur pied. Lorsque le Brésil a testé la traçabilité du vote dans son système national de vote électronique, il en est résulté de longues files d’attente dans les bureaux de vote. Relier des machines de vote à une imprimante peut compliquer le scrutin en y rajoutant tous les impondérables causés par les imprimantes, du manque de feuilles au bourrage de papier…

Le mariage entre un grand nombre d’électeurs donnant leur vote par un système sur papier et quelque 30 pour cent d’entre eux le faisant sur un équipement électronique, auquel beaucoup ne font pas confiance, aura pour conséquence une élection très serrée se déroulant sous une surveillance étroite et hautement partisane.

Les États-Unis vont-ils essayer différents systèmes?

La débâcle des élections de 2000 a mis sous pression toutes les personnes concernées, des membres du Congrès aux responsables locaux des bureaux de vote, en leur imposant de résoudre les problèmes et de réformer rapidement l’organisation des élections. Il est malheureusement difficile de savoir si l’on a pris les bonnes décisions. Pourtant, comme l’a écrit un journaliste, les états peuvent être des « laboratoires expérimentaux ». Après le scrutin de 2000, la nouvelle Commission d’assistance aux élections pourrait en profiter pour financer des expériences spécifiques de réforme des élections dans les états et les villes – un peu comme le font actuellement les Britanniques – de manière à déterminer comment les problèmes causés lors de l’élection de 2000 pourraient être évités à l’avenir.