La République d’Afrique du Sud

NICO STEYTLER

Après trois siècles d’une domination de type coloniale et raciale, deux constitutions rédigées au cours des années 1990 ont permis d’instaurer en Afrique du Sud une

démocratie de type majoritaire et non raciale. Son but était de libérer la majorité

opprimée pour réparer les erreurs du passé, volonté venue s’ajouter au désir de

réunifier un pays profondément divisé par des frontières à la fois ethniques et raciales. Le processus de construction nationale fut lancé sur la dynamique de la théorie individualiste des droits humains qui transcenderait les anciennes divisions raciales, afin d’instaurer une république qui, selon le Préambule de la Constitution de 1996, « appartient à tous ses habitants, unis dans une même diversité ».

Le passage de la domination d’une minorité { la règle de la majorité a pris la forme d’une transition négociée, que d’aucuns ont même appelée « une révolution négociée ». La majorité ne s’est pas emparée par la force des leviers de l’État; le régime blanc en place a abandonné le pouvoir { la suite d’un engagement sur l’honneur. La Constitution intérimaire de 1993, qui a ouvert la voie au système majoritaire, a été adoptée par le Parlement tricaméral de l’apartheid, assurant de la sorte la continuité légale entre l’ordre ancien et le nouveau. Au cours des négociations, le régime blanc et certains représentants des élites dans les Bantoustans « noirs » ont tenté de limiter les pouvoirs du nouveau gouvernement majoritaire et de préserver certains vestiges de leurs propres pouvoirs et de leurs privilèges, en favorisant la décentralisation du gouvernement et la protection de

certains droits communautaires et individuels. À l’opposé, l’objectif de la majorité demeurait la prise de contrôle intégrale de tous les leviers de l’État grâce { un gouvernement centralisateur capable de transformer de manière radicale une société déchirée par ses antagonismes raciaux.

Il en est résulté un système constitutionnel possédant certaines caractéristiques fédérales tout en garantissant la prédominance du centre. L’Afrique du Sud est dès lors entrée un peu à reculons dans la famille des fédérations. Pas plus la Constitution que le discours politique avant et après l’adoption de la nouvelle charte fondamentale n’ont d’ailleurs utilisé le terme « fédéralisme ». Étant donné que l’Afrique du Sud elle-même ne se reconnaît pas comme un pays fédéral, le débat sur

la nature de l’État se poursuit1. En dépit de son statut non officiel d’État fédéral, la

Constitution sud-africaine revêt un intérêt certain aux yeux des autres fédérations

en raison de la manière dont s’opère la répartition des pouvoirs entre les trois sphères de gouvernement national, provincial et local , ainsi que de son adhésion sans réserve aux principes du gouvernement coopératif.

LA CONSTITUTION DANS SON CONTEXTE HISTORIQUE ET CULTUREL

La création de l’État sud-africain

Située à la pointe méridionale du continent africain, la République d’Afrique du Sud couvre une superficie de 1 219 090 km2 et abrite 44 millions d’habitants de langues, de cultures et de races variées, qui vivent dans 9 provinces et 285 municipalités.

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Sept de ces provinces connaissent des majorités linguistiques.La population est dans sa grande majorité de religion chrétienne 84 pour cent , et 13 pour cent observent les systèmes traditionnels de croyances indigènes. De petites minorités musulmanes 1,50 pour cent et hindouistes 1,5 pour cent coexistent. La communauté chrétienne regroupe 10 pour cent de protestants et 9,5 pour cent de catholiques, alors que sa grande majorité appartient à diverses Églises africaines

indépendantes. L’une des caractéristiques du pays est sa division raciale. Selon le système de classification utilisé au temps de l’apartheid – et qui sert toujours à des fins de recensement 77,8 pour cent sont considérés Africains; 10,1 pour cent,

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Blancs; 8,7 pour cent, de couleur; et 2,4 pour cent, Indiens.Avec un produit national brut (PNB) de 3 160 $ US par habitant, l’Afrique du Sud est classée par la Banque

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mondiale parmi les économies de classe moyenne supérieure.

La Constitution de 1996 se présente comme l’aboutissement de huit décennies d’élaboration constitutionnelle dans un régime d’apartheid, tout en y apportant une

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réponse.L’Union sud-africaine fut formée en 1910 par la fusion de quatre colonies britanniques. En dépit des exemples existant { l’époque de colonies britanniques réunies sous forme de fédérations, comme le Canada (1868) et l’Australie (1901), la convention nationale de 1909 ne se prononça pas en faveur d’un tel système en raison de la nécessité de construire une nation et de la crainte d’une prééminence

des provinces. Une union forte fut jugée nécessaire pour promouvoir la construction nationale entre les deux anciennes colonies britanniques Le Cap et le Natal et les deux nouvellement acquises le Transvaal et la Colonie d’Orange – pourtant en guerre contre l’Empire britannique moins de dix ans auparavant. Pour faire des concessions aux tendances fédéralistes, une Chambre haute appelée Sénat fut chargée de défendre les intérêts provinciaux, chacune des quatre provinces élisant un nombre identique de sénateurs. Des exécutifs et des législatifs provinciaux furent également créés, mais leurs compétences étaient amoindries par le pouvoir dérogatoire automatique du législatif national. Dès lors les provinces ne bénéficiaient plus ni de compétences réservées, ni de compétences résiduelles.

La politique d’apartheid dite des « homelands » avait introduit une certaine forme de dévolution. Son objectif consistait à créer des États nations noirs indépendants, privant par là même tous les Africains de leur nationalité sud-africaine. Quatre homelands « indépendants » furent créés : le Transkei en 1976, le Bophutatswana en 1978, le Venda en 1979 et le Ciskei en 1981. S’y ajoutaient quelques territoires auto administrés dotés de larges compétences notamment le KwaZulu, le Kangwane, le Qwa-Qwa, le Gazankulu et le KwaNdebele. Les frontières de ces territoires avaient été délimitées autant que possible selon l’occupation [de groupements] ethnique(s). Contrairement aux avis exprimés lors de la convention de 1909, le but poursuivi consistait à séparer autant que possible les Noirs les uns des autres, mais aussi le plus possible des Blancs, selon une grande stratégie du type « diviser pour régner ».

Pour la communauté métisse, c’est la solution du « homeland » qui fut envisagée de prime abord; les métis ont été considérés comme une « nation en devenir ». Un Conseil représentatif des métis, [Colored Representative Council], doté de pouvoirs législatifs limités fut mis sur pied. Mais cette tentative de créer un homeland métis rapidement échoua. En ce qui concerne les Indiens originaires du sous-continent indien, l’État ségrégationniste d’Afrique du Sud après avoir abandonné relativement tard (dans les années 1960) l’idée de les rapatrier en Inde, songea { les associer dans un forum séparé, le Conseil des Indiens d’Afrique du Sud [South African Indian Council], un organe qui ne disposait d’aucune compétence législative ou exécutive digne de ce nom.

Un parlement tricaméral fut instauré en 1983 pour inciter les métis et les Indiens à une alliance avec les Blancs. Mais la ségrégation raciale se poursuivait, dans la mesure où chaque groupe disposait de sa propre Chambre parlementaire, dont la compétence législative se limitait à ses « propres affaires », alors que toutes trois devaient délibérer conjointement sur les « affaires communes ». Le parlement tricaméral eut pour conséquence la disparition du Sénat et des législatures dans les provinces, celles-ci ne conservant qu’une autorité exécutive limitée.

La fin de l’apartheid et la réhabilitation des mouvements de libération en 1990 marquèrent le coup d’envoi d’un processus de négociations politiques visant l’adoption d’une constitution intérimaire en 1993 et la tenue d’élections

démocratiques en avril 1994. Ces interminables discussions furent « souvent marquées par des perturbations sociales généralisées, des débats acrimonieux et

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une indescriptible violence ».Au commencement, le Congrès national africain [African National Congress, ANC] insista pour que l’adoption de la Constitution fut confiée à un organe élu, car à son point de vue un nouvel État non racial ne pouvait

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s’édifier que sur un large support démocratique.Le gouvernement sud-africain et ses alliés s’opposèrent { cette idée, craignant une lourde défaite dans les urnes et la

perte de tous leurs pouvoirs et autres privilèges. Ils proposèrent donc une plateforme de négociations multipartite au sein de laquelle tous les partis politiques, indépendamment de leur potentiel électoral, devaient parvenir à un consensus

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suffisant pour adopter une nouvelle constitution.De cette manière, les gouvernements en place pourraient procéder à des ententes constitutionnelles hors de proportion avec leur force électorale. Le compromis auquel finalement tous se rallièrent prévoyait que le Processus de négociation multipartite de Kempton Park rédigerait une constitution permettant la tenue des premières élections non raciales. Comme ce texte n’était pas basé sur la volonté du peuple mais élaboré par des élites, il ne représenta qu’une charte transitoire remplacée deux ans plus tard

par une Constitution définitive, celle de 1996. Le nouveau Parlement démocratiquement élu devait fonctionner alors simultanément comme une Assemblée constituante. Celle-ci n’aurait cependant pas toute liberté de manœuvre. En plus de la majorité des deux tiers requise pour l’adoption de la Constitution, elle

serait liée par un ensemble de Principes constitutionnels qui formeraient la colonne vertébrale de la Constitution définitive. En outre, ces principes seraient justiciables devant la Cour constitutionnelle, chargée de vérifier leur conformité avec le texte constitutionnel.

Les élections démocratiques d’avril 1994 unifièrent le pays de façon formelle. Les homelands « indépendants » cessèrent d’exister, chacun d’eux rejoignant une des neuf nouvelles provinces. Intégrant le Venda et le Bophuthatswana, le Transvaal fut divisé en quatre provinces: Gauteng, Nord-Ouest, Nord (actuellement le Limpopo) et Mpumalanga. La Province du Cap incluant le Transkei et le Ciskei fut découpée en trois provinces : Cap Occidental, Cap-Nord et Cap Oriental. Seules les anciennes provinces du Natal et l’État libre d’Orange préservèrent leurs frontières et une partie de leur nom, devenant respectivement le KwaZulu-Natal et l’État libre.

La Constitution intérimaire consacrait une disposition à la possible division du Cap Oriental en deux provinces, abandonnant ainsi les homelands du Transkei et du Ciskei, pour autant que l’idée reçoive un soutien suffisant. La pérennité du Cap-Nord en qualité de province pouvait également être mise en cause. Mais en définitive ces modifications de frontières n’eurent aucun soutien politique. Parce que le découpage de deux anciennes provinces en sept nouvelles avait été précipité, nombre de frontières furent contestées par les communautés locales situées le long des nouvelles lignes de démarcation. Des dispositions furent donc également consacrées aux rectifications des limites entre les provinces. Mais aucune disposition n’avait encore été mise en application en février 1997, lorsque la Constitution de 1996 entra en vigueur, entérinant de la sorte le tracé de 1994.

La Constitution de 1996 ne consacre aucune disposition à des ajustements de frontières ou à la création de nouvelles provinces. Toute modification n’est possible que par un amendement constitutionnel. La délimitation des municipalités en l’an

2000 a mis en lumière la dimension artificielle de certaines frontières provinciales,

notamment lorsqu’elles séparaient des communautés fonctionnelles. Pour résoudre

ce problème, la Constitution fut amendée en 1998 de manière à permettre la création de municipalités transfrontalières. Ce compromis n’a cependant pas fonctionné dans la pratique, et la rectification des frontières provinciales dans le but de supprimer la nécessité des communes transfrontalières figure désormais à

l’agenda politique national.

La Constitution intérimaire représentait un long document, avec ses 251 articles et six annexes. Six amendements la complétèrent entre 1994 et 1996. Deux amendements essentiels, entrés en vigueur en avril 1994, avaient pour but de

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réintégrer les groupes politiques qui s’étaient retirés des négociations.Le premier Parlement démocratiquement élu amenda le texte pas moins de huit fois au cours des deux années suivantes, la plupart du temps sur des points techniques. Dans la mesure où cette Constitution intérimaire avait pour objectif d’offrir certaines assurances { l’élite blanche sortante, son style se voulait légaliste. La Constitution de

1996, cependant, ne comporte que quelques articles de moins (243) et six annexes. De plus, une longue annexe et deux appendices aménagent la transition. Au contraire de la constitution intérimaire, conçue avec un sens du détail permettant de faire face à toutes les éventualités, celle de 1996 fut rédigée dans un style à la fois

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général et ouvert. Il s’agissait également de l’écrire dans un langage simple et accessible à tous les citoyens.

La Constitution de 1996 a été amendée à neuf reprises, les amendements les plus

significatifs ayant concerné l’instauration des municipalités transfrontalières, les changements au système judiciaire, l’autorisation donnée aux membres des parlements nationaux, provinciaux et locaux de changer de partis sans pour autant perdre leur siège, et le renforcement du contrôle national sur les questions fiscales

d’ordre local.

La rédaction des Constitutions de 1993 et 1996

L’un des éléments clés des négociations entre les mouvements de libération et le gouvernement de l’époque, avec ses alliés dans les homelands, fut la dévolution du

pouvoir aux entités infranationales. Le Parti Inkatha de la Liberté [Inkatha Freedom Party, IFP], doté d’une solide assise ethnique dans le KwaZulu-Natal, se posa en ardent défenseur d’un système fédéral. Les leaders des homelands du

Bophuthatswana et du Ciskei exprimèrent eux aussi leur grand intérêt. Le Parti national [National Party, NP], qui avait instauré un État fortement centralisé du temps de l’apartheid, fit cause commune avec les leaders des homelands en appelant de ses vœux [la formation] de puissants gouvernements régionaux. Leur intérêt commun consistait { éviter l’émergence d’un gouvernement central fort sous la houlette de l’ANC. Au surplus, le NP conservait l’espoir de « conquérir » l’un ou l’autre des espaces régionaux, avec l’appui des leaders des homelands. À droite, les

Afrikaners conservateurs revendiquaient une forme extrême de fédéralisme: l’autodétermination dans leur propre Volksstaat. Ce mouvement pouvait compter sur un large soutien parmi les forces de l’armée et de la police alors en fonction.

L’ANC considéra les demandes de fédéralisme comme un simple prétexte pour

contrecarrer la règle de la majorité. De plus, la création de puissantes unités fédérées aurait légitimé les homelands et créé un Volksstaat blanc séparé. Le fédéralisme, craignait-on, permettrait de préserver les privilèges de la minorité blanche. Selon l’ANC, un gouvernement central fort se révélait indispensable pour transformer une société basée sur le racisme en une société promouvant la non division raciale et corrigeant les erreurs du passé.

Le règlement finalement négocié s’est révélé un modèle de pragmatisme, comportant tout à la fois des éléments de centralisme et de fédéralisme. Lorsque

l’ANC et le NP conclurent l’accord, deux importants protagonistes – l’IFP et les Afrikaners conservateurs étaient absents, mais deux mois avant les élections d’avril 1994, la Constitution intérimaire fut modifiée pour tenir compte de leur contribution. Le principe d’autodétermination y était fixé, en tant qu’un Principe

constitutionnel. Un Volkstaatraad fut également instauré, autrement dit un Conseil au sein duquel les Afrikaners avaient toute latitude pour exprimer et défendre leur désir d’autodétermination. Ces dispositions permirent de « ramener au bercail » la majorité des Afrikaners de droite. De la même manière, l’accroissement des compétences provinciales et l’octroi d’aménagements spécifiques pour le KwaZuluNatal apaisèrent l’IFP.

La Constitution intérimaire de 1993 représenta le fruit d’un règlement négocié inspiré par deux préoccupations. Premièrement, l’unité nationale revêtait une importance majeure. Pour rompre avec l’apartheid, il convenait d’empêcher { n’importe quel prix la division raciale et ethnique de l’Afrique du Sud. L’objectif

poursuivi était bien plutôt une démocratie non raciale rassemblant la population nationale entière. Deuxièmement, en raison de la double menace que les Afrikaners conservateurs et le conflit du KwaZulu-Natal faisaient peser sur la paix et la stabilité du pays, les éléments fédéralistes de la Constitution intérimaire avaient pour but la construction de la paix. Le document de 1993 est décrit comme un traité de paix alors que la Constitution de 1996 est une véritable constitution, un exercice de rédaction constitutionnelle réalisé par des représentants élus.

La légitimité de la Constitution de 1996 aux yeux de la population résulte à la fois de

la légitimité des élections de 1994 et de son processus d’élaboration. La Constitution intérimaire avait envisagé l’organisation d’un référendum constitutionnel

uniquement comme une sorte de mécanisme permettant de débloquer la situation

au cas où l’Assemblée constituante n’aurait pas été capable de réunir la majorité requise des deux tiers. Reflétant cette manière d’envisager la légitimité, les premiers

mots du Préambule de la Constitution de 1996 « Nous le peuple » sont immédiatement associés à la formule « par l’intermédiaire de nos représentants librement élus, adoptons cette Constitution comme loi suprême de la République ». Comme le texte final l’emporta par une majorité de deux tiers, la question du référendum ne se posa pas. La popularité de la Constitution peut sans l’ombre d’un doute être attribuée aux efforts de relations publiques déployés par l’Assemblée, qui

fit appel et reçut plus de deux millions de propositions de texte. Bien que celles-ci n’aient pas directement façonné le texte, ce processus de participation a

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vraisemblablement facilité l’appropriation de la Constitution par le peuple.

Lorsque l’Assemblée constituante se réunit en 1994, elle se trouva liée par les

Principes constitutionnels, dont quatre jouaient un rôle fondamental en matière de décentralisation. Premièrement, les compétences législatives et exécutives des provinces devaient se révéler « appropriées » et « adéquates », de manière à promouvoir « une autonomie provinciale légitime ». Deuxièmement, la nouvelle Constitution devait comprendre des fonctions et des compétences exclusives et concurrentes pour les ordres de gouvernement national et provinciaux. Troisièmement, les pouvoirs et les fonctions des provinces ne devaient pas être substantiellement moindres que ceux prévus par la constitution intérimaire. Quatrièmement, « [un] cadre légal consacré aux structures, aux pouvoirs et aux fonctions des collectivités locales » devait trouver sa place dans la Constitution.

L’Assemblée constituante adopta la nouvelle Constitution en mai 1996. Celle-ci prévoyait des législatifs et des exécutifs provinciaux dotés de compétences exclusives et concurrentes, en fonction des matières énumérées dans les Annexes 4 et 5. Lorsque ce document fut soumis à la Cour constitutionnelle, celle-ci refusa d’en

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valider la conformité aux Principes constitutionnels.Pour l’essentiel, la Cour considéra qu’il comportait une diminution substantielle des pouvoirs provinciaux par rapport à la Constitution intérimaire. Lorsque la Cour réexamina le texte modifié

trois mois plus tard, elle jugea qu’il subsistait un affaiblissement des compétences provinciales, mais celui-ci n’était plus considéré comme substantiel. De la sorte elle

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certifia le texte,qui entra en vigueur le 4 février 1997.

En ce qui concerne la décentralisation, la Constitution intérimaire et celle de 1996 ont toutes deux clairement rappelé deux principes essentiels. Premièrement, la pratique constitutionnelle devait être basée sur une démocratie libérale classique fondée sur les individus plutôt que sur la protection et le renforcement de certains

groupes, qu’ils soient ethniques, raciaux ou linguistiques. Deuxièmement, en dépit de l’instauration d’entités infranationales, une compétition entre celles-ci et le centre ne devait pas s’établir: la construction nationale devait conserver la priorité absolue.

Ces constitutions devaient forcément être basées sur la protection des droits

individuels. La longue tradition de l’ANC en la matière remontait { la Charte de la

Liberté [Freedom Charter], un document politique interne de 1955 qui liait les

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revendications sociales et économiques aux droits individuels.De telles exigences

n’existaient pas au sein du NP, qui manifesta un intérêt pour les droits de l’homme

dans les années 1980, mais souhaitait associer cette question à celle des droits

collectifs. Cependant, au cours de la transition du début des années 1990, l’élite

blanche sortante envisagea les droits individuels comme un refuge contre les intrusions de l’État dans la sphère privée. Les deux parties, rappelons-le, furent contraintes { la négociation par le consensus qui s’esquissait alors au niveau

international en faveur d’une transition démocratique acceptable uniquement sur la

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base d’un système constitutionnel démocratique.

En réponse aux revendications exprimées par les Afrikaners conservateurs, qui réclamaient une protection culturelle et linguistique des groupes minoritaires par la reconnaissance de droits collectifs, ou communautaires, l’ANC fit savoir que ces préoccupations trouveraient leur réponse dans les droits individuels garantis par la Charte des droits [Bill of Rights]. Ils devaient inclure la liberté d’association et d’expression aussi bien que les droits linguistiques. C’est seulement en matière de droit { l’éducation que la Constitution intérimaire reconnaissait un certain élément communautaire. Une personne avait le droit (1) « de recevoir une instruction donnée dans sa propre langue pour autant que cela soit raisonnable et réalisable » et (2) « d’établir l{ où cela se révélait réalisable, des institutions d’éducation basées sur une culture, une langue ou une religion communes, à condition que ne soit exercée aucune discrimination fondée sur la race » (Article 32). Dans le texte de 1996, le communautarisme se voyait renforcé en matière de langue et de culture : « Les personnes appartenant à une communauté culturelle, religieuse ou

linguistique ne sauraient se voir nier le droit, avec d’autres membres de cette communauté (a) de jouir de leur culture, de pratiquer leur religion et d’utiliser leur langue ; et (b) de former, de rejoindre et de maintenir des associations culturelles, religieuses et linguistiques, et tout autre organe de la société civile » (Art. 32). Une mise en œuvre communautaire de ces droits ne devrait cependant pas contrevenir à la Charte des droits. Dans un tel cas, la clause de non-discrimination représenterait le plus important facteur de limitation.

Bien que la Constitution soit basée sur les droits individuels, la diversité linguistique et culturelle demeure garantie. La Constitution reconnaît onze langues officielles: l’afrikaans, l’anglais, le ndebele, le sepedi, le sotho, le swati, le tshivenda, le tswana, le xitonga, le xhosa et le zoulou. Les gouvernements national et des provinces

peuvent élever n’importe lequel de ces idiomes au rang de langue officielle, en

fonction de son usage, des considérations pratiques et des coûts engendrés, mais il doit y avoir au moins deux langues officielles. Les municipalités ne se voient imposer aucune obligation explicite d’utiliser plus d’une langue pour leur administration; elles ne doivent prendre en compte que la pratique commune de

telle ou telle langue et les préférences de leurs résidents. En pratique l’anglais

demeure la lingua franca du pays et constitue la langue du gouvernement. Devant

les tribunaux, un accusé a le droit d’être jugé dans n’importe quelle langue qu’il ou

elle comprend, faute de quoi les débats doivent lui être traduits.

Pour donner des gages aux intérêts communautaires, la Constitution prévoit la

création d’une Commission pour la promotion et la protection des Droits des

communautés culturelles, religieuses et linguistiques. Mais bien que cette commission doive promouvoir le respect des droits culturels, religieux et linguistiques, elle doit également encourager « la fraternité », « la tolérance » et l’« unité nationale » entre ces groupes (Art.185). Concrètement, la mise sur pied

d’un tel organe s’est révélée extrêmement difficile, puisque ses divers mandats

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transcendent les langues, les religions et les cultures;dans le contexte sud-africain,

il y a peu d’éléments communs entre la culture et la langue d’une part, et la religion de l’autre. La loi d’habilitation n’a été adoptée que six ans après l’entrée en vigueur de la Constitution, et la commission en question n’a été instaurée qu’en 2003.

Étant donné que la décentralisation du système sud-africain prit la forme d’un compromis négocié et que l’objectif prioritaire est demeuré la construction

nationale, la forme prise par la décentralisation devait être compatible avec ce but

fondamental. En d’autres termes, les unités décentralisées ne devaient en aucun cas devenir des plates-formes faisant la promotion d’une compétition politique { caractère fractionnel. L’une des raisons pour lesquelles l’ANC accepta la décentralisation fut l’attraction du modèle allemand de fédéralisme coopératif. Bien qu’aucune référence { l’adhésion { l’idée fédérale ne fut spécifiée dans la

Constitution intérimaire, la Cour constitutionnelle a considéré que celle-ci était inhérente au système. En revanche, dans la Constitution de 1996, le gouvernement coopératif est explicitement élevé au rang de pierre angulaire de la décentralisation.

LES PRINCIPES CONSTITUTIONNELS DU SYSTÈME SUD-AFRICAIN

La Constitution prévoit que « l’État se compose des sphères nationale, provinciales et locales qui sont distinctes, interdépendantes et en relation mutuelle » (Art. 40(1)). Par opposition aux « ordres » de gouvernement auxquels se référait la Constitution intérimaire, l’utilisation du terme « sphères » par le texte constitutionnel de 1996 veut écarter tout sentiment de hiérarchie une affirmation par ailleurs immédiatement contredite par les pouvoirs de supervision par les gouvernements central et provinciaux sur aussi bien les provinces que les

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municipalités.Le caractère « distinct » se réfère { l’autonomie dont bénéficient à la fois les provinces et les municipalités. Ces sphères sont « interdépendantes » dans la mesure où chacune d’entre elles doit faire usage de son autonomie pour le bien commun du pays en coopérant avec les autres. Chaque sphère se trouve par ailleurs « en relation mutuelle » car elle exerce son autonomie sous la supervision des autres sphères de gouvernement. Pourtant, en raison de l’importance donnée { la supervision du gouvernement national sur les provinces et les municipalités, le système politique reste dominé par le centre. Il a dès lors pu être décrit comme un fédéralisme hybride.

La répartition des compétences opérée par la Constitution intérimaire comportait certains éléments asymétriques. Pour ménager les Afrikaners conservateurs et les Zoulous nationalistes, elle consacrait des dispositions spécifiques au Volkstaatraad, au droit { l’autodétermination ainsi qu’{ la reconnaissance du monarque zoulou. Mais lorsque le processus politique évolua de l’établissement de la paix vers la rédaction de la Constitution, le principe de symétrie l’emporta, faisant disparaître l’idée du Volkssaat ; toutes les provinces et municipalités disposent désormais des

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mêmes pouvoirs.

Bien que le principe de base demeure celui de la symétrie des compétences, comme en Australie et en Allemagne, le développement de provinces et de municipalités dotées de compétences asymétriques demeure possible. Premièrement, dans le

domaine législatif l’Assemblée nationale conserve la possibilité de déléguer n’importe quel pouvoir { une province ou { une municipalité, { l’exception de la compétence d’amender la Constitution (Art. 44). Une assemblée provinciale peut en faire de même en faveur d’un conseil municipal (Art. 104). Deuxièmement, par une disposition inspirée de la Loi fondamentale allemande, une province a le droit

d’appliquer toute législation nationale liée aux compétences concurrentes et exclusives pour autant qu’elle dispose de la capacité administrative nécessaire (Art. 125(3)). Au surplus, l’État central et les provinces doivent confier aux municipalités

la gestion des questions provinciales qui touchent obligatoirement les collectivités locales, pour autant que ces dernières soient gérées plus efficacement au niveau local et qu’elles se montrent capables de le faire (Art.156 (4)). Ces dispositions concrétisent le principe de subsidiarité, aux termes duquel la dévolution de compétences asymétriques aux provinces et aux municipalités peut avoir lieu. Mais

néanmoins aucune d’entre elles, même en disposant de cette capacité, n’a encore

reçu des compétences additionnelles.

Le chapitre 3 consacré au gouvernement coopératif garantit l’intégrité fonctionnelle et territoriale des différentes sphères. Tout en réaffirmant l’unité nationale et l’indivisibilité de la République, de même que la loyauté due à la Constitution, à la République et { son peuple, l’Article 41 (1) garantit également l’existence et le fonctionnement des provinces et des municipalités. Elle astreint toutes les sphères de gouvernement { l’observation des conditions suivantes :

(e)
respecter le statut constitutionnel, les institutions, les compétences et les fonctions des autres sphères ;
(f)
n’exercer aucun pouvoir ou fonction { l’exception de ceux qui leur sont confiés aux termes de la Constitution ;
(g)
exercer leurs compétences et leurs fonctions de manière à ne pas porter atteinte à l’intégrité géographique, fonctionnelle ou institutionnelle d’une autre sphère.

Des garanties constitutionnelles supplémentaires protègent les collectivités locales. Une municipalité « conserve le droit de réglementer, de sa propre initiative, les affaires locales de sa communauté, sujettes à la législation nationale et provinciale, comme le prévoit la Constitution » (Art. 151 (3)). Les gouvernements national et provinciaux, de leur côté, « ne sauraient entraver ou empêcher la capacité ou le droit d’une municipalité { exercer ses compétences ou ses fonctions » (Art. 151 (4)).

La Constitution ne contient aucune disposition relative à la sécession. De fait, son premier article proclame : « La République d’Afrique du Sud est un État unique, souverain et démocratique ». Le droit { l’autodétermination, ancré dans la Constitution intérimaire et reproduit dans le texte de la Constitution finale par le

truchement du Principe constitutionnel XXXIV, n’est pas considéré comme reconnaissant le moindre pouvoir de sécession. L’Article 235 énonce :

Le droit { l’autodétermination du peuple sud-africain dans sa globalité, tel qu’il est exprimé dans cette Constitution, n’exclut pas, dans le cadre de ce droit, la reconnaissance de la notion du droit { l’autodétermination d’une collectivité partageant un héritage culturel et linguistique commun, au sein d’une entité territoriale de la République ou de toute autre manière, déterminé par la législation nationale.

Au sens légal du terme, le droit { l’autodétermination a largement été réduit { une

sorte de revendication politique; tout processus fédéraliste visant à

l’autodétermination ne reposera pas entre les mains de quelque communauté qui s’autoproclame en se référant directement { la Constitution, mais il sera dirigé par le

Parlement.

Les provinces et les municipalités se voient conférer une liberté toute relative de créer leurs propres systèmes de gouvernement, leurs institutions politiques et leurs modes de gestion. Premièrement, dans son chapitre 6 la Constitution prescrit les institutions politiques, législatives et exécutives des provinces. Mais, en adoptant une constitution, une province peut établir ses propres structures et procédures législatives et exécutives. Deuxièmement, le Chapitre 13 consacré aux finances confie à la législation nationale le soin de réglementer la gestion financière des provinces. La Loi N° 1 sur la gestion des finances publiques de 1999 touche à la fois les départements nationaux et les provinces. Troisièmement, la Constitution impose { la législation nationale d’aménager le service public des provinces. Il existe un seul service public « qui doit fonctionner et être organisé selon la législation nationale » (Art. 197(1)). Cette obligation s’étend aux termes et conditions de l’emploi dans le service public. Les provinces se voient réduites au recrutement et au licenciement des fonctionnaires, mais même cela doit demeurer dans le cadre national (Art. 197 (4)). Dans ce domaine, la Loi sur le service public de 1994 réglemente dans le moindre détail les administrations nationales, mais aussi provinciales. Quatrièmement, le chapitre 7 établit dans leurs grandes lignes les structures et les procédures politiques des municipalités et confie à la législation nationale toute une série de domaines. La Loi sur les structures municipales de 1998, la Loi sur le système municipal de 2000 et la Loi sur la gestion des finances municipales de 2003 sont venues concrétiser toutes ces dispositions constitutionnelles.

Outre l’adoption d’une législation nationale sur des matières relevant du domaine exclusif des provinces (Art. 44(2), cf. infra), l’exécutif national peut intervenir dans une province lorsque celle-ci ne remplit pas une obligation constitutionnelle ou légale qui lui incombe (Art. 100). Des directives peuvent être édictées, et l’exécutif

national peut même endosser la responsabilité d’exécuter l’obligation défaillante si certaines conditions sont remplies, notamment la nécessité de préserver le respect

de normes nationales essentielles, l’unité économique et la sécurité nationale. Les provinces disposent de pouvoirs d’intervention plus importants encore vis-à-vis des municipalités. Une modification constitutionnelle de 2003 permet aux provinces,

quand elle ne les y oblige pas en fonction des circonstances, d’intervenir en cas de

crise financière en prenant des mesures, parmi lesquelles la révocation du conseil municipal.

Bien que la régulation des provinces et des municipalités revête une ampleur considérable, les principes du gouvernement coopératif offrent certaines garanties pour éviter qu’elle ne devienne abusive. La Cour constitutionnelle a admis que la législation cadre nationale devait être évaluée en fonction du principe de gouvernement coopératif selon lequel toutes les sphères de l’État « doivent faire usage de leurs pouvoirs et exécuter leurs fonctions d’une manière qui n’empiète pas sur l’intégrité géographique, fonctionnelle ou institutionnelle d’une autre sphère » (Art. 41(1) (g)). Aux yeux de la Cour, cette disposition touche « la manière dont la

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compétence est exercée, et non la question de savoir si elle existe ».Dès lors, poursuit la Cour, « le pouvoir confié au législatif national doit être exercé avec circonspection dans le respect des exigences de l’Article 41(1) (g) de manière à s’assurer qu’en exerçant son pouvoir, le législateur national ne remette pas en cause la capacité des provinces à remplir les fonctions qui leur sont attribuées par la

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Constitution ».

Dans la mesure où l’intégrité géographique et institutionnelle d’une province ou d’une municipalité est protégée, les principes de gouvernement coopératif imposent également aux unités infranationales d’agir dans l’intérêt national, comme le prévoit l’Article 41 de la Constitution. Elles doivent surtout « préserver la paix, l’unité nationale et l’indivisibilité de la République; assurer le bien-être du peuple de la République; offrir un gouvernement efficace, transparent, responsable et cohérent

pour la République dans son ensemble; [et] … coopérer les unes avec les autres dans

la confiance et la bonne foi mutuelles ».

L’extension des compétences provinciales jusqu’{ la capacité de rédiger leurs propres constitutions fut le fruit des négociations visant { s’assurer la participation de l’IFP aux élections de 1994. Mais l’étendue de ces pouvoirs, que ce soit { la lumière de la Constitution intérimaire ou de celle de 1996, s’est finalement révélée limitée. Un législatif provincial peut adopter une constitution avec le soutien d’au moins deux tiers de ses députés. Parce qu’au demeurant une constitution provinciale doit s’inscrire dans le cadre étroit que lui concède la Constitution, elle

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nécessite l’approbation de la Cour constitutionnelle.

L’espace constitutionnel concédé { une province demeure confiné: une constitution

provinciale doit se conformer à la Constitution nationale, excepté pour (1) les

structures et procédures législatives et exécutives qui peuvent différer de celles qui

sont prévues par la Constitution et (2) l’instauration d’une monarchie traditionnelle,

avec son statut, son autorité et son rôle (Art. 143). Diverses structures et procédures

doivent au surplus s’harmoniser avec les valeurs fondamentales exprimées dans le premier article de la Constitution, de même qu’avec les Principes de gouvernement coopératif et des relations intergouvernementales ancrées dans le chapitre 3. Lors de son examen de la Constitution du Cap Occidental en 1997, la Cour

constitutionnelle adopta une position restrictive en jugeant qu’un mode de scrutin différent dans une province ne pouvait pas se prévaloir de l’exception de structures

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ou de procédures législatives provinciales qui diffèrent de la norme nationale.

Une constitution provinciale est subordonnée à la Constitution nationale, dans la

mesure où elle ne peut pas la contredire { l’exception des deux domaines

mentionnés ci-dessus. La conformité entre les deux textes constitutionnels est garantie par le processus de certification. Un conflit ne peut donc se produire

qu’entre une constitution provinciale et la législation nationale. En cas de

contradiction avec une loi nationale que la Constitution exige ou envisage expressément, la législation nationale conserve la priorité. Dans tous les autres cas,

les dispositions prévoyant la suprématie du niveau national s’appliquant en cas de conflit avec la législation provinciale, qu’elle soit exclusive ou concurrente, sont également applicables aux constitutions provinciales (Art. 147(1)). Comme le pouvoir judiciaire relève de la compétence nationale, ce sont les tribunaux nationaux, en premier lieu la Cour constitutionnelle, qui sont chargés d’interpréter les constitutions provinciales.

Les collectivités locales

La Constitution intérimaire comportait un chapitre consacré au niveau local, mais celui-ci demeurait inscrit sur la liste des compétences provinciales concurrentes, ce qui le plaçait dès lors sous le contrôle direct des provinces. La Constitution de 1996 a fondamentalement modifié ce concept de collectivités locales appartenant à l’ordre de gouvernement le plus bas en les élevant { celui de « sphère » de gouvernement aux côtés des gouvernements national et provinciaux. Cette manière de voir confirmait la tendance apparue dans quelques constitutions fédérales modernes, qui reconnaissent les collectivités locales comme des institutions étatiques constitutionnelles, comme tel est le cas dans les Constitutions de

l’Allemagne (1949), de l’Espagne (1978), du Brésil (1988) ou encore de l’Inde, qui

fut amendée dans ce sens en 1992.

Plusieurs facteurs de politique intérieure également contribuèrent à ce changement

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de statut. Politiquement, les mouvements de libération ont vu les collectivités

locales jouer un rôle significatif tout au long de l’interminable lutte contre l’apartheid, donnant naissance { un puissant mouvement citoyen. Les rédacteurs

souhaitèrent canaliser cet élan en faveur d’un développement centré sur les besoins du peuple. La vision du niveau local comme un moteur du développement reflétait

également les théories contemporaines en la matière, pour qui l’apport des

municipalités et leur expérience sont indispensables au développement social et

économique. Finalement, étant donné la méfiance de l’ANC { l’égard des provinces,

ce fut sans grande hésitation que les collectivités locales furent renforcées au détriment des provinces.

L’autonomie des municipalités demeure incontestable dans certains domaines. Premièrement, leurs pouvoirs et leurs fonctions sont énumérés dans la Constitution. Deuxièmement, elles font également découler directement de la Constitution leurs principales compétences fiscales taxes sur la propriété et surcharges sur les émoluments prélevés pour les services rendus. Troisièmement, dans la mesure où les fonctionnaires municipaux ne relèvent pas du service public national ou provincial, leur statut relève des municipalités, et le recrutement du personnel comme son licenciement demeurent leur prérogative.

Bien que les collectivités locales, en leur qualité de « sphère », se voient reconnaître une certaine autonomie, elles demeurent soumises au contrôle sourcilleux des gouvernements national et des provinces. Premièrement le gouvernement national, aux termes de la Constitution, doit adopter une législation offrant un cadre suffisant pour les structures des collectivités locales et leur mode de fonctionnement. Deuxièmement, les provinces se voient conférer des compétences spécifiques leur permettant de réglementer certains aspects précis du gouvernement local. Troisièmement, les gouvernements national et des provinces disposent tous deux de l’autorité législative et exécutive permettant de réglementer la manière dont les municipalités exercent leur autorité, garantissant ainsi qu’elles s’acquittent avec

efficience des obligations qui leur sont confiées (Art. 155(7)). Quatrièmement, le gouvernement national et celui des provinces conservent de larges pouvoirs de contrôle sur les collectivités locales.

La Constitution crée trois catégories de municipalités : les premières sont les zones métropolitaines, les deuxièmes les municipalités locales et les troisièmes les municipalités de district, avec lesquelles les municipalités locales d’un district partagent leurs compétences législatives et exécutives. Cette dernière catégorie a

pour but de coordonner les municipalités locales et d’harmoniser les services au

sein des districts. La délimitation de six vastes zones métropolitaines ayant créé des municipalités dotées de budgets rivalisant avec ceux des provinces, a crée de facto des cités États.

Les peuples autochtones

Étant donné que la révolution démocratique vécue par l’Afrique du Sud a conduit à l’adoption de la règle de la majorité, la notion de peuples autochtones ne figure pas dans la Constitution. Bien qu’une de ses dispositions évoque la nécessité de

promouvoir les langues des Khoi, des Nama et des San les premiers habitants du sous-continent et de créer les conditions propices à leur développement (Art. 6(5)), ces groupes ne se voient pas octroyer un statut différent de celui de tout autre groupe.

Les formes traditionnelles de gouvernement n’avaient reçu qu’une sanction constitutionnelle limitée. Selon le chapitre 12, « l’institution, le statut et le rôle des chefs traditionnels, en vertu du droit coutumier, sont reconnus dans les limites de la Constitution » (Art. 211(1)). Les provinces et le gouvernement national peuvent instaurer des chambres de chefs traditionnels chargées des questions touchant les chefs traditionnels et le droit coutumier. Afin de permettre aux chefs et aux institutions traditionnelles de participer directement au gouvernement, la législation nationale peut leur offrir un rôle en tant qu’ « institution d’ordre local sur les questions touchant les communautés locales » (Art. 212(1)). Au bout du compte, la question des chefs traditionnels est inscrite sur la liste des compétences

concurrentes nationales et provinciales. En théorie, l’existence d’autorités locales démocratiquement élues sur l’ensemble du territoire a permis d’éclipser le rôle des chefs traditionnels dans l’exercice du gouvernement local. Ces derniers continuent pourtant de jouer un rôle significatif, bien que contesté, dans la gestion des anciens « homelands » même si le statut des municipalités est fixé dans la Constitution.

La répartition des compétences

La nature hautement centralisée du système décentralisé de l’Afrique du Sud est particulièrement mise en évidence par la manière dont les compétences sont ventilées entre les unités infranationales. Bien que les provinces et les collectivités locales se voient attribuer des pouvoirs dans des domaines fonctionnels distincts, le gouvernement national conserve toutefois un pouvoir de contrôle considérable.

Sous l’influence de la notion de gouvernement coopératif mis en pratique en

Allemagne et de la structure de la Constitution permettant sa réalisation, les compétences concurrentes représentent un élément central de la Constitution [de

l’Afrique du Sud].

Comme leurs homologues d’Allemagne, de l’Inde ou du Nigeria, les provinces disposent à la fois de compétences « concurrentes » (énumérées dans l’Annexe 4) et de compétences « exclusives » (énumérées dans l’Annexe 5). Les premières comprennent l’agriculture, les jeux d’argent et les casinos, la protection des consommateurs, les affaires culturelles, l’éducation { tous les niveaux ({ l’exclusion du niveau universitaire), l’environnement, les services de santé, le logement, la promotion industrielle, le développement de la population, les transports publics, la planification et le développement régionaux, le tourisme, le commerce et l’action sanitaire et sociale. Les compétences provinciales recouvrent également celles qui sont raisonnablement nécessaires { l’exercice effectif d’une compétence touchant n’importe quelle matière énumérée dans cette Annexe 4, ou qui leur sont

concomitantes. Les compétences « exclusives » sont plus restreintes et recouvrent les abattoirs, les services d’ambulances, les archives, les bibliothèques et les musées

autres que nationaux, les licences d’alcool, la planification provinciale, les affaires

culturelles provinciales, les loisirs et les équipements provinciaux, les sports, les routes et la circulation routière au niveau provincial et les services vétérinaires, à l’exclusion de la réglementation de la profession elle-même.

Les compétences locales sont détaillées en partie B des Annexes 4 et 5. L’Annexe 4B comprend la distribution d’électricité, les services de lutte contre les incendies, la santé municipale, les transports publics, l’eau et les services sanitaires. L’annexe 5B énumère l’entretien des routes, les cimetières, le contrôle des entreprises de vente d’alcool au public, les marchés, les routes, l’enlèvement des déchets et la circulation

routière.

Hormis ces deux annexes, la Constitution confère quelques compétences supplémentaires aux provinces et aux municipalités. Ainsi, bien que les provinces ne puissent disposer de leurs propres forces de police, elles jouent un rôle limité dans le contrôle et la surveillance des forces de police nationales uniformisées. Par contraste, les municipalités peuvent instituer des agents de police municipaux dans le cadre de la législation nationale.

Comme au Canada ou en Inde, les pouvoirs résiduels sont du ressort du gouvernement national, qui dispose au surplus du pouvoir de légiférer sur la plupart des compétences provinciales. Dans le cas de compétences véritablement « concurrentes », les provinces et le Parlement national peuvent valablement légiférer en même temps sur le même objet. En ce qui concerne les compétences provinciales « exclusives », une législation nationale n’est possible que si elle est jugée indispensable « (a) pour préserver la sécurité nationale; (b) pour maintenir

l’unité économique; (c) pour maintenir les normes nationales essentielles; (d) pour

établir les normes minimales exigées pour la délivrance des services publics; ou (e) pour empêcher une province d’entreprendre toute action irraisonnée préjudiciable aux intérêts d’une autre province ou du pays dans son ensemble » (Art. 44(2)).

Les seules incidences relevant de pouvoirs provinciaux véritablement exclusifs recouvrent la dénomination d’une province (Art. 104(2)), la rédaction d’une constitution provinciale (Art. 142) et l’adoption d’une politique en matière de langue (Art. 6).

Les compétences locales sont également circonscrites par les autres sphères de

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pouvoir dans les mêmes domaines fonctionnels.En vertu de l’Annexe 4B, le gouvernement national et les provinces ne peuvent réglementer en adoptant des normes et des exigences minimalesque la manière dont les municipalités exercent leur autorité exécutive. Du côté des objets de l’Annexe 5B, le gouvernement national doit tenir compte des exigences de l’Article 44(2) mentionné ci-dessus, et les provinces ne peuvent procéder { des réglementations qu’en édictant le cadre légal

dans lequel les municipalités exercent leurs compétences.

Quand un conflit surgit entre les législations nationale et provinciale dans un domaine fonctionnel concurrent, une large et généreuse clause de suprématie entre

en jeu. La législation nationale qui s’applique uniformément { l’ensemble du pays

conserve la priorité si:

(a)
la question ne peut pas être réglementée de manière satisfaisante par les provinces individuellement ;
(b)
la question, pour être traitée avec efficacité, nécessite un traitement national uniforme, et celui-ci doit être établi au moyen de normes, de standards, de cadres légaux ou de politiques nationales ;
(c)
une telle législation est nécessaire pour :
(i)
le maintien de la sécurité nationale ;
(ii)
la préservation de l’unité économique ;

(iii) la protection du marché intérieur au regard de la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des travailleurs ;

(iv)
la promotion des activités économiques par-delà les frontières provinciales ;
(v)
la promotion de l’égalité des chances pour l’accès aux services gouvernementaux ; ou
(vi)
la protection de l’environnement. (Art. 146(2))

La législation nationale s’impose également si elle a pour but de prévenir l’action irraisonnable d’une province qui (1) porterait préjudice { la santé économique ou aux intérêts sécuritaires d’une autre province ou du pays dans son ensemble, ou (2) entraverait l’application de la politique économique nationale (Art. 146(3)). Si un tribunal considère que les règles usuelles de suprématie ne permettent pas de résoudre un conflit, la législation nationale prévaut contre la législation ou la constitution de la province (Art. 148). Inversement, la législation provinciale prévaut si les conditions d’une supériorité nationale ne sont pas remplies (Art. 148(5)). En fonction de l’interprétation de la Cour constitutionnelle, une lecture extensive des clauses de suprématie n’entravera presque pas la suprématie du gouvernement national sur les matières concurrentes, alors qu’une lecture plus

restrictive laissera un peu de marge aux provinces.

Dans le cas des compétences « exclusives » des provinces, les critères de l’Article 44(2) permettant de valider la législation nationale servent également à résoudre les conflits. Si une législation nationale respecte les critères requis, elle est valide et l’emporte dès lors sur toute législation provinciale (Art. 147(2)). Si la législation nationale l’emporte, la loi provinciale n’est pas invalidée mais demeure simplement

suspendue aussi longtemps que dure le conflit (Art. 149). La question de la suprématie reste cependant limitée au point litigieux; la loi provinciale n’est pas forcément rendue inopérante dans sa totalité.

En ce qui concerne les règlements municipaux, la règle de base en matière de

suprématie veut qu’un règlement incompatible avec une législation nationale ou

provinciale soit invalidé. Cependant une nouvelle disposition prévoit qu’un règlement peut l’emporter même sur une loi nationale. Une loi nationale ou

provinciale ne prévaudra pas si elle « compromet ou empêche la capacité ou le droit d’une municipalité { exercer ses pouvoirs ou accomplir ses fonctions » (Art. 151(4)). Cela pourrait être interprété comme une interdiction faite au gouvernement

national et aux provinces d’utiliser leurs compétences législatives d’une manière

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inutilement invasive ou excessivement prescriptive.

En dépit des innombrables chevauchements des compétences législatives, le

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nombre de conflits est demeuré extrêmement bas. La raison principale en est

l’exhaustivité de la législation nationale dans le champ de la juridiction concurrente. Il n’existe qu’un nombre limité de lois provinciales dans les mêmes domaines. En retour, le gouvernement national ne s’est ingéré qu’une seule fois dans les fonctions « exclusives » des provinces, avec l’adoption de la Loi sur l’alcool [Liquor Bill] en 1999. Ce texte traitant de la réglementation de l’industrie de l’alcool fut contesté avec un certain succès, au motif que le Parlement avait excédé ses compétences

législatives. L’hégémonie de la législation nationale a de ce point de vue entravé l’indépendance des provinces au plan législatif, les reléguant au rang de circonscriptions administratives appliquant les lois nationales dans le domaine de l’éducation, de l’aide sociale et de la santé. Quelques facteurs expliquent la rareté de la législation provinciale. Premièrement, la modestie de leur capacité fiscale fait que

les provinces hésitent { adopter des lois dont l’application pourrait venir accroître leurs charges. Deuxièmement, la domination de l’ANC dans huit provinces sur neuf empêche l’adoption de législations concurrentes. Troisièmement, certaines provinces n’ont pas la capacité de développer leur propre législation de manière { occuper tout l’espace légal { leur disposition.

Il importe de replacer la répartition des compétences dans le contexte plus global du mode de gouvernement coopératif: les conflits nés de l’exercice du pouvoir doivent être résolus par la participation des différentes sphères à diverses structures facilitant les relations intergouvernementales. Par ailleurs, le principe de gouvernement coopératif consiste précisément à éviter les litiges pour résoudre les différends intergouvernementaux, y compris ceux qui surviennent pour des raisons

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de concurrence. Dans le respect de leur devoir d’une coopération mutuelle empreinte de confiance et de bonne foi, tous les organes de l’État se doivent d’éviter les procédures légales les uns { l’encontre des autres (Art. 41(1)). La Cour constitutionnelle exprime cette obligation d’une manière positive: les organes de

l’État doivent « essayer de résoudre leurs disputes { l’amiable ». 28 La raison en est, dans les termes même de la Cour, que la Constitution n’incarne pas « un fédéralisme

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compétitif » mais tout au contraire « un mode de gouvernement coopératif ».Cela implique, poursuit la Cour, que « les différends doivent dans toute la mesure du possible être résolus au niveau politique plutôt que par le biais de procédures

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accusatoires ».L’obligation d’éviter les actions en justice est exigeante, comme le rappelle l’Article 41 (3) : tout organe de l’État « doit entreprendre tous les efforts

raisonnablement possibles pour régler le conflit […] et doit épuiser toutes les autres

solutions avant de recourir à un tribunal pour le résoudre. » Les cours peuvent renforcer cette obligation en renvoyant un conflit aux parties au cas où les

prescriptions de l’Article 41(3) n’auraient pas été respectées. La Cour constitutionnelle prend cette obligation très au sérieux. Elle considère qu’un

tribunal, y compris elle-même, « ne se prononcera que rarement sur un contentieux intergouvernemental, { moins que les organes de l’État impliqué dans le conflit aient fourni tous les efforts que l’on pouvait raisonnablement attendre d’eux pour le

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résoudre à un niveau politique. »

LA STRUCTURE DU GOUVERNEMENT ET SON MODE DE FONCTIONNEMENT

La séparation des pouvoirs

Hypnotisés pour des raisons historiques par le modèle de Westminster, les négociateurs de la Constitution intérimaire montrèrent peu d’enthousiasme envers le présidentialisme de type américain; en conséquence ils optèrent comme de

nombreuses colonies britanniques avant eux ({ l’exception du Nigeria dans ses

constitutions de 1978 et 1999) pour le parlementarisme au niveau de la sphère nationale. Mais la séparation des pouvoirs a été consacrée dans le principe constitutionnel N° VI : « Il doit exister une séparation des pouvoirs entre le législatif,

l’exécutif et le système judiciaire, avec suffisamment de freins et contrepoids pour garantir la responsabilité, la réactivité et l’ouverture ». La Cour constitutionnelle jugea que ce principe n’imposait pas la séparation formelle du personnel entre le

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législatif et l’exécutif. Dès lors, un système parlementaire à la fois au niveau national et dans les provinces ne viole pas ce principe. Cependant, bien qu’un

certain chevauchement puisse subsister en matière de personnel, les fonctions du

législatif et de l’exécutif doivent demeurer distinctes. Dans une de ses premières décisions, la Cour constitutionnelle annula pour cause d’inconstitutionnalité un acte

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accordant de facto au président le pouvoir d’amender l’acte en question. La Cour considéra que l’octroi de pouvoirs réglementaires au président dépassait les limites des pouvoirs législatifs pouvant être délégués { l’exécutif, puisqu’ils comprenaient également le pouvoir de modifier l’acte lui-même.

Le Parlement national

L’autorité législative au niveau national appartient au Parlement, qui se compose de l’Assemblée nationale et du Conseil national des Provinces [National Council of Provinces, NCOP]. L’Assemblée comprend de 350 { 400 députés directement élus selon un système électoral qui, en règle générale, est une représentation proportionnelle pour un mandat de cinq ans. En 1994 le nombre de députés s’élevait { 400, élus sur des listes de parti bloquées. Pour garantir la représentativité la plus large possible, un parti ne doit obtenir que 0,25 pour cent de l’ensemble des suffrages exprimés pour voir un de ses membres siéger { l’Assemblée. Lors des élections de 2004, outre les trois partis majoritaires ANC, Alliance démocratique et IFP , huit autres petits partis ont ainsi assuré leur représentation.

Le NCOP a été créé pour permettre d’intégrer les provinces dans le processus législatif national. Suivant les modèles américain ou australien d’égale

représentation des États, chaque province dispose de dix représentants au sein du NCOP, indépendamment de sa grandeur. Appliquant une libre interprétation du modèle allemand du Bundesrat, quatre de ces représentants au sein de chaque délégation provinciale sont des députés de la législature régionale, un siège étant même réservé au Premier ministre de la province. Les six autres sont nommés de manière permanente par la législature régionale, qui se réserve le droit de destitution. Les organisations de municipalités, représentées par l’Association sudafricaine des gouvernements locaux [South African Local Government Association], peuvent participer aux discussions relatives aux questions locales, mais sans droit de vote.

L’autorité législative du NCOP se limite aux affaires provinciales. Pour tout ce qui dépasse les compétences concurrentes et exclusives des provinces, le NCOP n’a qu’un pouvoir dilatoire. Dans ce cas, chaque député du NCOP vote individuellement. Si le NCOP rejette une loi, l’Assemblée nationale peut l’adopter { la majorité simple. Si un domaine relève des compétences exclusives ou concurrentes des provinces, la

procédure législative appliquée s’inspire dans ses grandes lignes de celle du

Bundesrat allemand. Le vote se déroule par province, chaque députation disposant d’un suffrage. En tant que représentants des provinces, chaque délégation doit obtenir un mandat de la législature provinciale lui précisant la manière d’exprimer son suffrage. En cas de conflit entre l’Assemblée et le NCOP, une commission de

médiation entre en jeu. Si le désaccord perdure, la position du NCOP peut être

renversée par une majorité qualifiée des deux tiers { l’Assemblée nationale.

Le NCOP n’a pas encore obtenu de statut politique imposant, et des difficultés

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pratiques considérables entourent l’attribution des mandats par les provinces.La prépondérance de l’ANC dans huit des neufs provinces assure la concordance entre l’Assemblée nationale et le NCOP, et la législation adoptée par le Cabinet est rarement contestée par les provinces. Le manque de ressources, de savoir-faire et

d’expérience de la part du NCOP et des législatures provinciales, joint au délai très bref pour l’obtention des mandats sur la législation nationale, ont eu pour conséquence que le NCOP n’a pas ajouté la moindre valeur provinciale mesurable aux travaux du Parlement. Sur un plan structurel, d’une manière très semblable { ce

qui se passe au Canada où les relations intergouvernementales sont dominées par un vaste système de « fédéralisme exécutif », parce que le système parlementaire

concentre les pouvoirs au niveau de l’exécutif, les institutions exécutives des relations intergouvernementales les réunions entre le président et les neuf

Premiers ministres (appelés Conseil de coordination du président), et les réunions entre les ministres nationaux et leurs homologues provinciaux (appelées MinMECs)

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ont éclipsé la fonction délibérative du NCOP.Après la négociation de la législation nationale au niveau des exécutifs, ceux-ci n’ont guère envie d’ajouter ou de retrancher quelque substance que ce soit durant les délibérations du NCOP qui clôturent le processus législatif.

Bien que le Parlement ne dispose d’aucun droit de veto sur les lois promulguées par les assemblées législatives provinciales ou les conseils municipaux, il est libre

d’adopter une législation compensatoire, dont la suprématie sera assurée par les règles de priorité. De leur côté les provinces disposent, par l’intermédiaire du NCOP, de nombreux pouvoirs de veto sur l’action exécutive du niveau national.

Premièrement, comme il lui appartient de confirmer toutes les interventions (Art. 100), le NCOP peut mettre fin à une intervention du gouvernement national dans une province. Deuxièmement, il peut en faire de même pour toute décision du Trésor public de stopper le transfert de fonds à une province en raison des infractions persistantes ou sérieuses présumées commises par celle-ci aux règles de gestion financière (Art. 216). Troisièmement, en collaboration avec l’Assemblée nationale, le NCOP doit ratifier tous les traités internationaux conclus par l’exécutif national. Finalement, en sa qualité de composante du Parlement, le NCOP doit approuver la déclaration de « l’état de défense nationale » (Art. 203(3)).

L’exécutif national

Le président, qui est à la fois chef de l’État et chef de l’exécutif national, est choisi parmi les députés élus. Dans la mesure où la moitié des 400 membres de

l’Assemblée nationale sont élus par représentation proportionnelle sur une liste régionale, les provinces participent d’une manière indirecte à son élection. À l’exception possible de deux membres, le président doit sélectionner son cabinet au sein de l’Assemblée nationale. En cas d’élection, il ou elle abandonne son siège dans

le cadre du Parlement, mais cela ne met pas un terme à la responsabilité du président ou du cabinet vis-à-vis de l’Assemblée. Outre le pouvoir de mettre en accusation le président [empeachment] par une majorité des deux tiers, l’Assemblée nationale peut, par un vote majoritaire, adopter une motion de défiance qui entraîne la démission du président et de son cabinet, en parfaite adéquation avec le système de Westminster.

Le système judiciaire

L’une des valeurs fondamentales du nouvel État démocratique, inscrite dans la Constitution de 1996, demeure « la suprématie de la Constitution et de l’État de droit » (Art. 1(c)). Dans un tel contexte, le système judiciaire joue un rôle essentiel

pour la défense et l’application de la Constitution. Lors des négociations

multipartites, l’avenir du système judiciaire installé au temps de l’apartheid fut contesté. Les mouvements de libération soutinrent que ce système judiciaire,

composé pour l’essentiel d’hommes blancs et de thuriféraires de l’apartheid, ne

pouvait pas se voir confier le rôle de gardien du nouvel ordre constitutionnel. Le Parti national souhaita pourtant leur maintien en fonction. Bien que cela fût finalement accepté, un compromis fut trouvé en ce qui concerne les gardiens de la Constitution. Pour toutes les questions constitutionnelles, une toute nouvelle Cour constitutionnelle se prononce en dernière instance, alors que sur toutes les autres

matières c’est la Division d’appel [Appellate Division] de l’époque qui demeure la plus haute instance. Par ailleurs, après les longues années de monopole de l’exécutif

sur la nomination des juges, il a fallu dépolitiser le processus de nomination en instaurant la Commission du service judiciaire [Judicial Service Commission, JSC]. Ces deux institutions, la Cour constitutionnelle et la JSC, ont été maintenues dans la Constitution de 1996.

Comme en Inde, il n’existe qu’un seul système judiciaire. À son sommet, pour les

questions constitutionnelles, sur le modèle de la Cour constitutionnelle allemande, se trouve également la Cour constitutionnelle, l’ultime interprète de la Constitution et exécuteur constitutionnel. Pour les autres questions, la plus haute instance demeure la Cour suprême d’appel. Au-dessous de ces deux tribunaux se trouve la Haute Cour, divisée en un certain nombre de sections, qui finiront par coïncider avec les nouvelles frontières des provinces. Le découpage actuel est basé sur les

circonscriptions judiciaires d’avant 1994, qui incluent les homelands

« indépendants »

La JSC est chargé de nommer les acteurs du système judiciaire; elle bénéficie d’une large représentativité avec des membres provenant de la justice et des professions

juridiques, six députés de l’Assemblée nationale et quatre délégués permanents auprès du NCOP. Le Premier ministre d’une province devient membre du JSC en cas

de nomination judiciaire dans une section provinciale revenant à la province. Le

président, après avoir consulté la JSC, parmi d’autres, nomme les juges qui président la Cour constitutionnelle et la Cour suprême d’appel. La nomination des juges { la Cour constitutionnelle est opérée par le président sur la base d’une liste préparée par la JSC. Tous les autres juges sont nommés par la JSC.

Seule la Cour constitutionnelle est habilitée à se prononcer sur les litiges opposant des organes de l’État, dans les sphères nationale et provinciales, quant au statut constitutionnel, aux compétences et aux fonctions d’un de ces organes. La Cour

tranche également entre les deux législations, nationale ou provinciale, pour déterminer laquelle est conforme à la Constitution. Elle se prononce sur la validité de chaque amendement constitutionnel et elle détermine si le Parlement ou le

président a failli dans ses obligations constitutionnelles. La certification d’une constitution provinciale est une autre de ses attributions. Finalement, avant qu’un texte de loi national ou provincial n’entre en vigueur, la Cour a le pouvoir d’en revoir la constitutionnalité, { la demande du président, de l’Assemblée nationale ou d’une

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législature provinciale.

Les provinces

Les institutions des provinces reflètent pour l’essentiel celles de la nation. Les législatures provinciales sont cependant monocamérales. Leur taille varie de 30 à 80 membres, le nombre exact étant déterminé par une formule relevant de la législation nationale. Leurs membres sont élus pour un mandat de cinq ans par un système de représentation proportionnelle basé sur des listes de parti bloquées. Le Premier ministre de la province est choisi parmi ses pairs du parlement provincial et choisit tous les membres du Conseil exécutif au sein de la législature provinciale. Comme relevé ci-dessus, la constitution d’une province peut fixer des structures législatives et exécutives qui diffèrent de celles qui sont prévues par la Constitution nationale. Le Cap Occidental a procédé de la sorte dans sa Constitution de 1997 pour ce qui concerne la taille de la législature provinciale.

Les municipalités

Un système de gouvernement démocratique est imposé aux collectivités locales à travers tout le pays. Des conseils municipaux entièrement élus regroupent à la fois

le législatif et l’exécutif. La disposition transitoire permettant { un chef traditionnel

de siéger ex officio dans un tel conseil, mais sans droit de vote, a été abrogée lors de la mise en place de la phase finale de l’installation des gouvernements locaux en décembre 2000. La Constitution définit en outre les principales procédures internes des conseils afin d’assurer la gouvernance démocratique dans les municipalités.

Les relations nation provinces municipalités

Dans ce contexte de gouvernement coopératif, qui met l’accent sur l’unité du peuple et la prérogative nationale de l’égalité, le fait de résider dans telle ou telle province

a, aux termes de la Constitution, des conséquences négligeables. En revanche, si une province procède à des discriminations basées sur la résidence, le gouvernement

national peut intervenir. La législation nationale l’emporte sur celle des provinces si elle se révèle indispensable pour « promouvoir l’égalité des chances ou l’égalité d’accès aux services publics » (Art. 146(2)). En outre la législation nationale conserve la suprématie si elle se révèle nécessaire pour la « protection du marché intérieur en ce qui concerne la libre circulation des biens, des services, du capital et des travailleurs » (Art. 146(2)).

Bien que la Constitution ne prévoie aucun mécanisme chargé de faciliter les

relations intergouvernementales, elle impose { la législation nationale d’y pourvoir (Art. 41(2)). Aucune disposition d’application n’a encore été adoptée, mais des mécanismes institutionnels ont été discrètement mis en place dans certains domaines, comme les relations fiscales intergouvernementales. Par ailleurs, comme la Constitution laisse les relations intergouvernementales largement hors du champ de toute réglementation, on n’y trouve aucune interdiction d’accords entre provinces ou entre municipalités.

COMPÉTENCES FISCALES ET MONÉTAIRES

Quand l’Afrique du Sud rejoignit le monde de la finance internationale après des années d’isolation pour cause d’apartheid, elle y trouva un consensus privilégiant la discipline fiscale et une politique monétaire rigoureuse. L’impact de cette unanimité sur le processus de rédaction de la Constitution n’est pas clairement établi, mais elle peut avoir influencé d’une certaine manière l’apparition de ce que les commentateurs appellent les deux constitutions, à savoir une « constitution politique » présentant la plupart des éléments d’un système fédéral et une « constitution fiscale » présentant les caractéristiques distinctives d’un système extrêmement centralisé. Il s’avère que le volet fiscal de la Constitution de 1996 conditionne en grande partie le fonctionnement de son volet politique, cela résultant finalement à la prédominance de la sphère nationale.

La taxation

Il semble bien que le pouvoir de taxation du gouvernement national ne connaisse aucune limite, et pourtant il n’est pas explicitement mentionné dans la Constitution. En revanche, les compétences fiscales des provinces et des municipalités sont explicitement énumérées. De sévères restrictions sont apportées aux compétences des provinces, alors que celles des collectivités locales demeurent plus étendues.

La Constitution autorise une province à prélever des impôts, des taxes et des charges autres que l’impôt sur le revenu, la TVA, une taxe générale sur les ventes, un impôt sur la propriété ou des droits de douane. Au surplus, une province peut percevoir une surtaxe sur tout impôt, taxe ou charge de niveau national, autre que l’impôt sur le chiffre d’affaire, la TVA, la taxe sur la propriété ou les droits de douane (Art. 228(1)). Mais ces compétences doivent être spécifiées dans un acte du

Parlement. S’il n’en existe pas, comme c’est actuellement le cas, alors il n’y a pas de compétence fiscale. On pourrait présenter l’argument que le gouvernement national peut être restreint dans sa capacité de priver les provinces de leurs compétences fiscales en choisissant de ne pas adopter la législation souhaitée ; la Cour constitutionnelle pourrait tout à fait soutenir une plainte constitutionnelle obligeant le gouvernement national à adopter la législation prescrite.

En comparaison, les compétences des municipalités pour imposer la propriété et prélever des surtaxes sur les redevances pour les services (Art. 229) ne dépendent pas de la législation nationale, bien qu’elles puissent être réglementées par cette dernière. Au surplus, si la législation nationale l’autorise, les municipalités peuvent

percevoir d’autres taxes, charges et redevances, { l’exception d’un impôt sur le revenu, de la TVA, d’une taxe générale sur les ventes ou de droits de douane.

Outre la limitation en vertu de laquelle les compétences fiscales des provinces doivent être exercées formellement comme une réglementation nationale, la Constitution prévoit qu’elles « ne sauraient être exercées d’une manière qui porte préjudice matériellement et de manière déraisonnable à la politique économique nationale, aux activités économiques transprovinciales ou à la libre circulation des biens, des services, du capital et des travailleurs » (Art. 228(2)). Des principes

similaires s’appliquent { l’exercice des compétences fiscales des collectivités locales (Art. 229(2)). Comme { l’heure actuelle les municipalités se retrouvent seules { exercer des compétences fiscales d’une certaine importance, la question de l’harmonisation ne se pose que dans cette sphère. Une législation nationale peut réglementer n’importe quel aspect des compétences fiscales des collectivités locales, et l’harmonisation des taxes foncières a été instaurée au niveau national par le Property Rates Act de 2004.

La « constitution fiscale » a entraîné un extraordinaire déséquilibre vertical, en ce sens que les provinces dépendent presque entièrement des transferts provenant du niveau national, alors qu’elles sont en charge de la plupart des services sociaux. À l’heure actuelle, les provinces lèvent leurs propres recettes fiscales pour moins de

cinq pour cent de leurs ressources totales. Leurs revenus propres proviennent principalement des impôts sur les jeux et de quelques taxes d’utilisation. Voil{ qui contraste singulièrement avec les 92 pour cent de leurs ressources totales que les municipalités prélèvent par elles-mêmes. Le reste des recettes locales provient de transferts nationaux, presque aucun n’étant effectué depuis les provinces. Les principales sources de revenus des municipalités sont les taxes foncières (21 pour

cent), les surcharges sur les taxes d’utilisation (32 pour cent), de même que les

licences, les redevances et les amendes (32 pour cent). Le budget de certaines des six municipalités métropolitaines rivalise de fait avec celui des provinces dans

lesquelles elles sont situées, ce qui démontre clairement l’importance des

collectivités locales en Afrique du Sud.

Les capacités d’emprunt

La Constitution réglemente les compétences des provinces et des municipalités en matière d’emprunts, mais elle garde le silence pour ce qui concerne le gouvernement national. Ces compétences sont plus ou moins sujettes aux mêmes conditions (Art. 230 et 230A). Aux termes de la Constitution, elles doivent être exécutées formellement au titre de législation nationale adoptée suite aux recommandations de la Commission financière et fiscale. Les emprunts peuvent être effectués pour des dépenses en capital ou pour des dépenses courantes mais, dans ce dernier cas, ce recours doit se révéler nécessaire pour des fins de financement temporaire au cours d’une année fiscale. Les emprunts des provinces sont régis par la Loi N° 48 de 1996 sur les compétences du gouvernement provincial en matière d’emprunts [Borrowing Powers of Provincial Government Act 48] et la Loi N° 1 de 1999 sur la gestion des finances publiques [Public Finance Management Act 1]. Dans la mesure où ces deux textes leur imposent un cadre restrictif, les provinces ne contractent que de modestes emprunts.

Les garanties

En opposition au silence de la Constitution sur les emprunts contractés par le gouvernement national, les garanties d’emprunt fournis par un des trois ordres de gouvernement (le cautionnement permanent pour les obligations financières d’un autre organe) doivent respecter les conditions prévues par la législation nationale (Art. 218). Aucune disposition constitutionnelle ne rend explicitement le gouvernement national garant des dettes provinciales et locales. La seule référence pouvant suggérer que le gouvernement national doive voler au secours des

provinces est l’obligation qui lui est imposée par la Constitution d’aider les

provinces, par des moyens de nature législative ou tout autre, à développer la capacité administrative nécessaire pour exercer efficacement leurs compétences et leurs fonctions (Art. 125(3)). En ce qui concerne les collectivités locales, aussi bien le gouvernement national que les provinces doivent « soutenir et renforcer la capacité des municipalités à gérer leurs propres affaires » et à exercer leurs compétences et leurs fonctions (Art. 154(1)). Mais lorsque la Cour d’appel suprême dut interpréter l’obligation constitutionnelle des provinces { « soutenir » les municipalités, elle considéra que cela ne comprenait pas la subrogation pour les

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mauvaises dettes d’une municipalité.

La répartition des ressources

Les transferts du gouvernement national, qui représentent 58 pour cent du budget national, constituent la principale source des revenus des provinces. Ils sont de deux natures différentes. Premièrement, chaque province dispose d’une « quote-part équitable » des recettes perçues au plan national, qui forment l’essentiel de ces transferts. Deuxièmement, des subventions conditionnelles peuvent leur être octroyées au bon vouloir du gouvernement national. Les municipalités sont elles aussi autorisées à recevoir leur quote-part des recettes nationales et des subventions conditionnelles. Chaque année, un acte du Parlement doit fixer la « répartition équitable » entre les trois sphères de gouvernement et au sein même des provinces, des recettes collectées au plan national. Cette répartition doit respecter les principes fixés dans la Constitution (Art. 214(1)) dont le but est d’opérer une certaine péréquation entre les provinces et les municipalités. La répartition de cette quote-part équitable entre les 284 municipalités est opérée administrativement par le Trésor national.

La « quote-part équitable » de chaque sphère est déterminée au cours d’un processus comportant trois étapes. Premièrement, la Commission financière et fiscale, composée de représentants des trois niveaux, recommande une manière de se « partager le gâteau » en suivant les principes assez généraux de l’Article 214. La Commission s’est pour l’essentiel laissée guider par le nombre d’habitants et la mesure du niveau de pauvreté de chaque province. La deuxième étape consiste en une consultation des provinces et des collectivités locales au sein du Conseil budgétaire et du Forum budgétaire respectifs. Ces organes consacrés aux relations fiscales intergouvernementales sont composés de représentants des trois sphères gouvernementales. La détermination finale est fixée par le ministre national des Finances sous réserve de l’approbation par le Parlement de la Loi annuelle de la répartition des revenus [Division of Revenue Bill].

L’utilisation des ressources

La Constitution ne fixe aucune restriction à la manière dont le gouvernement national peut dépenser sa quote-part des recettes collectées sur le plan national.

Elle exige cependant que l’offre de biens et de services par les trois sphères de

gouvernement respecte le système « honnête, équitable, transparent, compétitif et efficient » prévu par la législation nationale (Art. 217(1)) et qu’elle comprenne des dispositions permettant de protéger ou de promouvoir des personnes ou des catégories de personnes ayant été désavantagées par les discriminations du passé (Art. 217(2)).

Bien qu’il n’existe aucune restriction constitutionnelle { la manière dont les provinces peuvent disposer de leur contingent, dans la pratique ces dépenses sont

largement dépendantes du gouvernement national. Pour l’essentiel, les charges provinciales sont consacrées { l’éducation, { la santé et { la sécurité sociale. La plupart des dépenses sont déterminés par des normes nationales. Par exemple, pour ce qui concerne la sécurité sociale, les retraites sont fixées au plan national et les

provinces ne s’occupent plus que de leur distribution. Au bout du compte, 85 pour cent de tous les revenus qu’une province reçoit ont déj{ été alloués préalablement

par le gouvernement national.

La politique monétaire

L’Assemblée constitutionnelle a souhaité préserver la politique monétaire des aléas de la politique. La Constitution instaure donc une banque centrale, la South African Reserve Bank, qui a pour premier objectif de protéger « la valeur de la monnaie dans l’intérêt d’une croissance économique équilibrée et durable » (Art. 224(1)). En poursuivant cet objectif, la banque doit exercer ses fonctions « indépendamment et sans crainte, faveur ou partialité ». Des consultations régulières entre la banque et le ministre des Finances doivent cependant avoir lieu (Art. 224(2)).

LES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET LA DÉFENSE

Les relations extérieures relèvent du gouvernement national : « La négociation et la

ratification de tous les traités internationaux sont de la responsabilité de l’exécutif

national » (Art. 231(1)). En outre, le président est en charge de la diplomatie. Bien que les provinces et les municipalités ne disposent d’aucune compétence en la matière aux termes de la Constitution, elles se sont engagées sur la scène

internationale en concluant toute une série de protocoles d’entente et autres

conventions, basés sur leur compétence pleine et entière à conclure des accords en

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général.

Les provinces sont indirectement impliquées dans les relations internationales grâce à leur participation au NCOP. Par opposition au pouvoir de veto limité dont dispose ce dernier sur la législation nationale qui affecte directement les provinces,

il bénéficie d’un véritable veto sur la ratification des traités internationaux. À l’exception des conventions exécutives d’application automatique, « un accord international engage la République seulement après son approbation à la fois par l’Assemblée nationale et le Conseil national des provinces » (Art. 231). Jusqu’{ présent, rien n’est venu démontrer que le NCOP a pleinement rempli son rôle dans

ce domaine, ce qui est symptomatique de sa position marginale en général au sein du Parlement.

Les services de sécurité relèvent de la compétence nationale. La Constitution prévoit « une force de défense unique » qui demeure « la seule force militaire légale » du pays (Art. 199(1) (2)). Le président, en sa qualité de chef de l’exécutif national, dispose de l’autorité pour déployer les forces de défense (Art. 201). Comme la sécurité dépend également de l’autorité du Parlement (Art. 198(d)), les provinces peuvent y jouer un rôle important par l’intermédiaire du NCOP. Une déclaration de guerre (« état de défense nationale ») par le président devient caduque si elle n’a pas été confirmée par le Parlement dans les sept jours suivant sa proclamation (Article 203(3)). Bien que le consentement du NCOP ne soit pas expressément requis, celui-ci est codéterminant en la matière, en sa qualité de composante du Parlement.

LE VOTE, LES ÉLECTIONS ET LES PARTIS POLITIQUES

Dans une volonté manifeste de rupture avec le passé de l’Afrique du Sud de l’apartheid et ses registres d’électeurs basés sur la race, la Constitution proclame dans son Article I que les valeurs fondamentales de la république comprennent « le suffrage universel adulte [et] un registre national commun des électeurs ». Ce

dernier s’applique { toutes les élections { l’Assemblée nationale, aux législatures

provinciales et aux conseils municipaux. La Charte des droits garantit en outre le droit de chaque citoyen adulte (la majorité civique est fixée à 18 ans) de voter lors des élections et se porter candidat à ces organes législatifs (Art. 19(3)). Seuls sont empêchés de présenter leur candidature les fonctionnaires, les personnes déclarées insolvables, déclarées atteintes de déséquilibre mental ou condamnées à des peines de prison de plus d’une année. En outre, chaque citoyen jouit du droit « à des élections libres, équitables et régulières » pour toutes les institutions politiques (Art. 19(2)).

L’entière responsabilité de l’enregistrement des électeurs, de la conduite des opérations de vote et de la proclamation des résultats a été confiée à une Commission électorale indépendante. Celle-ci fait partie de ces Institutions étatiques appuyant la démocratie constitutionnelle [State Institutions Supporting Constitutional Democracy], énumérées et décrites dans le chapitre 9 et qui sont, aux termes de la Constitution, « indépendantes et soumises exclusivement à la

Constitution et { la loi et […] doivent se comporter de manière impartiale et exercer

leurs compétences et leurs fonctions sans crainte, faveur ou partialité » (Art. 181(1)). La Cour constitutionnelle jugea qu’en raison de son indépendance et de l’absence de tout contrôle par le gouvernement national, la Commission ne relève pas de la sphère nationale de gouvernement pour ce qui concerne le respect des

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principes de gouvernement coopératif, y compris le devoir d’éviter tout litige.

La Charte des droits garantit à tout citoyen le droit de fonder un parti politique (Art.

19(1)). Il n’existe pas de restrictions quant { la nature du parti en cause, mais d’autres dispositions de la Charte des droits, comme la liberté d’expression, peuvent imposer des limites. La liberté d’expression ne s’étend pas { « la propagande en faveur de la guerre » ou à « l’apologie de la haine basée sur la race, l’ethnicité, le sexe ou la religion, et toute incitation à causer des préjudices » (Art. 16(2)). Il n’existe aucune réglementation explicite des partis politiques, mais la Constitution exige que « dans le but de renforcer la démocratie multipartite, la législation nationale doit prévoir un financement des partis politiques représentés dans les parlements national et provinciaux sur une base d’équité et de juste proportion » (Art. 236).

LA PROTECTION DES DROITS

Tout comme l’Allemagne qui fit face à son passé nazi en 1949 en mettant l’accent sur la garantie des droits fondamentaux, y compris l’égalité de traitement, la protection des droits individuels a bénéficié d’une place privilégiée de la part des auteurs de la

constitution, dans le sillage de la discrimination raciale et de la répression de

l’Afrique du Sud de l’apartheid. La Constitution intérimaire de 1993 contenait tout

un chapitre consacré aux « droits fondamentaux », tandis que le chapitre 2 du document final s’intitule « Charte des droits » [Bill of Rights]. Tant le contenu des droits que leur application s’y révèlent innovateurs.

La lutte contre l’apartheid a été menée également en se référant au droit

international et de ce fait le droit international qui se rapporte aux droits de l’homme est largement représenté dans la Constitution. La Constitution sudafricaine maintient le système dualiste: les conventions internationales ne deviennent partie intégrante de la législation de l’Afrique du Sud qu’après leur incorporation dans le régime juridique du pays par une loi nationale, à moins que ces conventions internationales ne soient considérées comme du droit international

coutumier. Les textes internationaux relatifs aux droits de l’homme s’appliquent indirectement: lorsqu’ils interprètent la Charte des droits, une cour ou un tribunal doivent « tenir compte du droit international » (Art. 39(1)). Au surplus, lors de

l’interprétation de toute législation, la préférence doit être accordée { une version

raisonnable qui se conforme au droit international (Art. 232).

La Charte des droits contient toute une large série de droits, s’étendant des libertés civiles et des droits politiques classiques aux droits socio-économiques contemporains. À la toute première place figure le droit { l’égalité, suivi par les droits à la dignité humaine, à la vie, à la liberté, à la sécurité des personnes et à la vie

privée. Les libertés de religion, de croyance, d’opinion, d’expression, d’association, de mouvement et d’établissement bénéficient également d’une garantie. Des droits

étendus sont octroyés aux personnes accusées et détenues.

Les droits politiques, ceux qui sont liés à la citoyenneté et au libre choix d’un commerce, d’une activité ou d’une profession sont réservés aux seuls citoyens. L’Article 3 de la Constitution stipule qu’existe « une citoyenneté sud-africaine commune ». Cela autorise tous les citoyens à « bénéficier de manière égale des droits, des privilèges et de bénéfices de la citoyenneté », mais aussi à devenir « sujets à parts égales des devoirs et des responsabilités liées à la citoyenneté ». Cet

Article prévoit en outre que la législation nationale détermine l’acquisition, la perte

et la restauration de la citoyenneté.

Les droits touchant l’éducation, les relations de travail et la propriété ont fait naître

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des controverses durant les négociations constitutionnelles.Les droits individuels sont reconnus en matière de langue, de culture et d’éducation. Après avoir étudié attentivement comment l’Inde applique les droits de la deuxième génération par le biais de Principes directeurs de la politique étatique non matières à procès, l’Assemblée constitutionnelle a reconnu des droits socio-économiques, pouvant porter à procès quant à eux, et s’appliquant au logement, aux soins de santé, à l’alimentation, l’eau, la sécurité sociale et l’éducation. Des droits spécifiques sont également reconnus aux enfants. Figurent aussi parmi ces droits, celui de l’accès à l’information, { des actions administratives justes et de l’accès aux tribunaux. Comme il a été mentionné ci-dessus, le droit des personnes d’appartenir { une communauté culturelle, religieuse ou linguistique est le seul à présenter un aspect communautaire.

La Charte des droits oblige toutes les sphères gouvernementales. Au surplus, des droits peuvent s’appliquer horizontalement { des personnes physiques ou morales, en fonction de la pertinence du droit et de la nature de l’obligation qu’il impose. Sous l’influence de la Charte canadienne des droits et des libertés, la Charte des droits contient également une clause de limitation. En cas d’urgence, certains droits peuvent être momentanément suspendus. Il demeure cependant impossible de

déroger { un certain nombre d’entre eux, parmi lesquels le droit { l’égalité au regard de la race, la couleur, l’origine sociale ou ethnique, le sexe, la religion, la langue, la dignité humaine et la vie avec proscription de discrimination inéquitable sur la seule

base de l’un de ces critères. Cette clause suspensive n’a encore jamais été utilisée.

Le principal moyen d’assurer l’application des droits demeure la voie judiciaire. Toute loi ou tout comportement incompatible avec la Charte des droits est invalide et doit être déclaré tel par un tribunal. La Cour constitutionnelle a annulé de nombreuses lois remontant { l’époque de l’apartheid (notamment la peine de mort). L’invalidation de textes adoptés par le nouveau Parlement démocratique s’est révélée moins fréquente. La Cour a également démontré sa volonté d’appliquer les

droits économiques et sociaux. En ce qui concerne le droit au logement, la Cour a condamné le gouvernement national pour son manque de politique en matière

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d’abris d’urgence destinés aux personnes en situation précaire. Dans son application du droit { l’accès aux soins de santé, elle rejeta une politique nationale

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de lutte contre le virus du VIH et le sida qu’elle jugea déraisonnable.Dans ce dernier cas, la Cour rejeta expressément le reproche selon lequel son contrôle de la politique gouvernementale violait la séparation des pouvoirs judiciaires et exécutifs, réaffirmant qu’en sa qualité de gardienne de la Constitution elle disposait du pouvoir de superviser tous les aspects des activités de l’exécutif.

En raison de l’importance accordée aux droits de l’homme par les rédacteurs de la Constitution, nombre de commissions et d’institutions indépendantes ont été fixées, notamment le Protecteur du citoyen [Public Protector], la Commission sud-africaine des droits de l’homme, la Commission pour l’égalité hommes–femmes [Commission for Gender Equality] et la Commission pour la promotion et la protection des droits des communautés culturelles, religieuses et linguistiques. La Commission des droits

de l’homme est plus généralement chargée de promouvoir le respect des droits de la

personne et, en particulier, de surveiller les mesures prises par le gouvernement pour mettre en œuvre les droits socio-économiques.

Bien que la Constitution garde le silence sur d’éventuelles chartes des droits dans

les constitutions provinciales, la Cour constitutionnelle estima dans son arrêt relatif à la certification de la Constitution du KwaZulu-Natal qu’une province a la permission d’en adopter une, mais seulement dans les limites de son pouvoir

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constituant.La Constitution du KwaZulu-Natal fut dès lors rejetée par la Cour, motif pris inter alia que par l’entremise de sa charte des droits la province avait tenté de s’arroger des compétences supplémentaires. Le champ d’application d’une

charte provinciale des droits demeure restreint : elle ne peut aborder que des domaines relevant des compétences régionales et ne saurait déroger à la Charte nationale des droits. Ainsi, lorsque la province du Cap Occidental rédigea sa constitution, elle préféra adopter une série de Principes directeurs de la politique provinciale, non justiciables.

LES MODIFICATIONS DE LA CONSTITUTION

L’inamovibilité de la Constitution souleva la contestation. Pour le Parti National, la Constitution devait servir d’assurance contre la tyrannie de la majorité. De la sorte, dès le début des négociations, le NP se prononça en faveur d’une Constitution rigide ne pouvant être modifiée qu’{ des majorités extrêmement élevées, par exemple 75

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pour cent pour la Charte des droits et les gouvernements régionaux.L’ANC s’y opposa. Au bout du compte, c’est la majorité classique des deux tiers qui fut inscrite dans la Constitution intérimaire. C’est également la norme adoptée dans la

Constitution de 1996, mais certaines majorités et procédures spéciales sont prévues pour des aspects spécifiques de la Constitution. Le rôle de la NCOP dans le processus

d’amendement dépend de la disposition touchée. Modifier l’Article Premier, les

valeurs fondamentales de la Constitution de 1996, exige le soutien de 75 pour cent

de l’Assemblée nationale et de six des neufs provinces réunies au sein de la NCOP. Quant à la Charte des droits, elle ne peut être modifiée qu’{ une majorité des deux tiers { l’Assemblée nationale et de six provinces du NCOP. Pour toutes les autres matières, une majorité des deux tiers { l’Assemblée nationale suffit. Dans de tels cas, le soutien de six provinces au sein du NCOP n’est exigé que si l’amendement concerne un domaine touchant le NCOP, s’il modifie les frontières provinciales ou s’il concerne une question provinciale. Lorsqu’un projet d’amendement touche une ou plusieurs provinces spécifiques, le NCOP ne saurait adopter le texte avant qu’il ait été approuvé par la ou les législature(s) des provinces concernées. Cela confère aux provinces un droit de veto sur les amendements qui les regardent.

Comme mentionné plus haut, la Constitution intérimaire fut modifiée à dix reprises au cours de son existence de moins de trois ans. Les deux premiers amendements – l’élargissement des compétences provinciales et la reconnaissance du principe d’autodétermination et du Volkstaatraad esquissèrent la forme définitive que la décentralisation allait prendre dans la Constitution de 1996. Certains des dix amendements de cette dernière ont favorisé un lent reflux de cette décentralisation. En 1998, la signification des frontières provinciales fut tempérée par l’adoption

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d’une disposition prévoyant l’installation de municipalités transfrontalières. Cette même année, la dissolution d’un conseil municipal par une province fut

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indirectement autorisée.En 2001, un amendement étendit les capacités d’emprunt des gouvernements locaux en autorisant les conseils municipaux { s’engager, de même que les conseils ultérieurs, de manière à garantir les prêts ou les investissements consentis. Un second amendement de la même année renforça la

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prépondérance du Trésor national sur les autres sphères.Celui-ci doit désormais « assurer la conformité » avec les mesures garantissant la transparence et le contrôle des dépenses dans les trois sphères. La loi nationale relative à la politique des approvisionnements publics, applicable aux trois sphères, doit prévoir des mesures d’action positive [affirmative action]. La législation nationale peut désormais définir un cadre pour le fonctionnement des Fonds des revenus provinciaux. Cet amendement a également abrogé la limitation prévoyant que la législation nationale ne pouvait imposer que des « conditions raisonnables » à la souscription d’emprunts par les provinces. Chacune de celles-ci était représentée au sein de la Commission financière et fiscale ; désormais les provinces sont représentées par trois délégués nommés par le président. Un amendement de 2003 a facilité les interventions du gouvernement national dans les provinces comme

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dans les municipalités.En cas d’intervention, au lieu de devoir s’assurer l’approbation du NCOP dans les 30 jours, la période a été étendue à 180 jours. En cas d’urgence financière dans une municipalité, le gouvernement provincial est obligé d’intervenir, et s’il ne le fait pas de manière adéquate, le gouvernement national peut le faire { sa place. L’objectif ainsi visé est un contrôle accru par le gouvernement national sur les finances des provinces et des collectivités locales.

LAVENIR

La Constitution de 1996 fut le fruit de négociations et de compromis. Structurée par les Principes constitutionnels de la Constitution intérimaire, elle instaura un solide

gouvernement national majoritaire fonctionnant dans le contexte d’un régime

respectueux des droits individuels. En une décennie de gouvernement démocratique, le constitutionnalisme est devenu la norme. Le rôle des tribunaux

dans l’application de la Constitution n’a pas été remis en cause par la nouvelle élite politique, et les cours de justice n’ont pas esquivé leurs responsabilités.

L’instauration de gouvernements provinciaux a représenté une partie importante de cette « révolution négociée ». Ce compromis difficilement réalisé laisse toujours pendante la question de savoir si le pays devrait se diriger vers plus ou moins de décentralisation. Les amendements des quatre dernières années laissent supposer une certaine tendance plutôt favorable à la centralisation. Même si la

décentralisation perdure comme forme fondamentale de l’État, la ventilation

actuelle des pouvoirs entre les provinces et les collectivités locales risque de ne pas demeurer intangible. L’instauration des collectivités locales comme un puissant niveau de gouvernement, avec à leur tête six mégalopoles, pèsera de plus en plus sur

la place et le rôle des provinces. Le résultat pourrait bien prendre la forme d’un

sablier, les provinces se retrouvant étranglées entre les différentes sphères de gouvernement national et des collectivités locales.

Quant { savoir si l’Afrique du Sud poursuivra la route de la décentralisation tracée

par la Constitution, cela dépend de plusieurs facteurs. Premièrement, la Constitution

établit un cadre normatif composé d’un ensemble complexe de règles

institutionnelles et procédurales. Gouverner dans le respect de ce cadre constitutionnel et des lois qui le mettent en pratique exige des compétences et des ressources, ce qui soulève la question de savoir si le pays dispose des moyens institutionnels permettant à la décentralisation de fonctionner. Une insuffisance de ressources humaines ou autres pourrait ruiner la capacité des provinces et des collectivités locales à remplir leurs mandats constitutionnels, créant ainsi le besoin

d’un gouvernement plus centralisé.

Deuxièmement, l’hégémonie d’un seul parti, l’ANC, qui gouverne au plan national avec quelque 70 pour cent des suffrages et contrôle les neuf provinces (il demeure

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le partenaire principal dans les coalitions au KwaZulu-Natal et au Cap Occidental),soulève la question de savoir si ce parti, étant donné sa philosophie et son organisation fortement centralisées, déteindra sur la structure constitutionnelle. Étant donné la mainmise des organes centraux du parti, un des principes directeurs

de l’ANC, et le fait que tous les Premiers ministres provinciaux sont nommés par le centre plutôt que par les sections provinciales du parti, la prédominance de l’ANC

sur la vie politique sud-africaine risque de ne pas contribuer au développement de

puissants niveaux provinciaux ou locaux. Mais l’inverse demeure possible. La

pratique actuelle dans certaines provinces laisse penser que la dimension fédérale de la structure constitutionnelle pourrait bien, sur le long terme, rendre le parti plus fédéral.

Comment la question évoluera peut dépendre du développement ou pas d’une société ou d’une culture politique fédérales assurant la défense de la Constitution. À l’inverse d’autres fédérations, la décentralisation en Afrique du Sud n’a pas été impulsée par l’action de nationalités historiques ou de groupes ethniques ou

linguistiques. Bien que les Afrikaners conservateurs et les Zoulous nationalistes aient influencé la forme décentralisée de l’État, ils n’ont pas été les principaux instigateurs du processus constitutionnel. Le désir de perpétuer un puissant gouvernement central en a constitué le ressort principal. En conséquence la société ou la culture politique fédérales, si nécessaires au soutien des structures politiques fédérales, demeurent faibles et laissent ces structures vulnérables à la moindre

pression en faveur de la centralisation. Rien n’est cependant moins immuable que la culture politique, et si l’Afrique du Sud poursuit son cheminement sur la voie de la décentralisation, une véritable culture fédérale pourrait bien se mettre à s’épanouir dans les provinces et les municipalités.

Troisièmement, étant donné que « la suprématie d’un parti n’est jamais éternelle »

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et que les fortunes des politiciens fluctuent,le système de décentralisation sera-t-il

capable d’offrir { la population un gouvernement efficace en l’absence d’une ANC

prédominante ? Le multipartisme saura-t-il produire des majorités fonctionnelles au Parlement, et le gouvernement coopératif pourra-t-il gouverner par-delà les clivages partisans ? De manière plus générale, existe-t-il une culture politique démocratique et libérale permettant de supporter un système multipartite ? L’expérience du KwaZulu-Natal en matière de gouvernement de coalition n’est guère encourageante.

Le gouvernement d’union entre ANC et IFP au pouvoir dans la province entre 1994 et 2004 s’est révélé querelleur et instable. Les structures coopératives et les

relations entre la province et les municipalités au-delà des frontières politiques de

l’ANC et de l’IFP demeurent également fragiles.

Bien que les politiques multipartites représentent un défi pour la démocratie constitutionnelle sud-africaine, la décentralisation lui offre une chance de se stabiliser. La démocratie multipartite veut dire bien plus qu’être en compétition dans les sondages pour la gouvernance du pays. Cette notion signifie premièrement que différents partis politiques peuvent gouverner aux différentes sphères de gouvernement et, deuxièmement, que ces différents partis gouvernants peuvent

travailler main dans la main pour le plus grand bénéfice de la population d’une province et du pays dans son ensemble. Une démocratie locale vivante est d’une valeur considérable quand il s’agit d’approfondir la démocratie sur le plan national. L’expérience des autres pays rappelle que les politiques pluralistes nécessitent un

certain apprentissage, et que les gouvernements infranationaux en représentent les meilleures écoles. Ainsi donc, le défi majeur est de parvenir au fonctionnement

d’une démocratie multipartite au niveau infranational dans le cadre national de

gouvernement coopératif.

La Constitution a été forgée au feu des négociations politiques et des compromis, dans les années 1990. Elle se voulait l’architecte d’une nation fondée sur la démocratie libérale. La transformation aussi bien de la société que de la culture politique { l’image de la Constitution est en cours de construction. Tant que cet effort se poursuivra, la Constitution sud-africaine influencera la culture politique

dans laquelle elle s’insère, mais elle sera aussi influencée par cette dernière.

NOTES

1Cf. Ronald L. Watts, “Is the New Constitution Federal or Unitary,” Birth of a

Constitution. Éd. Bertus de Villiers, Le Cap: Juta, 1994, pp. 7588 à la p.86;

Richard Simeon, “Considerations in the Design of Federations: The South African

Constitution in Comparative Context”. SA Public Law 13, no. 1, 1998: pp. 4271.

2 Cap-Oriental (iziXhosa 82,8%) ; KwaZulu-Natal (isiZulu 79,8%) ; Cap-Nord (Afrikaans 69,3%) ; Cap-Occidental (Afrikaans 59,2%) ; Nord-Ouest (Setswana

67,2%) ; État Libre d’Orange (Sesotho 62,1%) ; et Limpopo (Sepedi 52,7%).

Statistics South Africa, Stats in Brief 2002. Pretoria: Statistics South Africa, 2002,

Table 2.11.

3 Ibid., p. 11. Moins de 1 pour cent de la population a été rangé dans la catégorie non déterminé ou autre.”

4 Les pays disposant d’un PNB par habitant se situant entre 2 996 $US et 9 265 $ US sont classés par la Banque mondiale comme faisant partie de la moyenne supérieure.

5 Cf. Nico Steytler, “South Africa” Federalism and Civil Societies. Éd. Jutta Kramer et Hans-Peter Schneider (Baden-Baden: Nomos, 1999), pp. 295317 aux pp. 29597 – Nico Steytler, “Constitution-making: In Search of a Democratic South Africa,” Negotiating Justice: A New Constitution for South Africa. Éd. Mervyn Bennun et Malyn D.D. Newitt, Exeter: University of Exeter, 1995, pp. 6380 aux pp. 6271.

6 Penelope Andrews et Stephen Ellman, “Introduction: Towards Understanding South African Constitutionalism,” The Post-Apartheid Constitutions: Perspectives on South Africa’s Basic Law. Éd. Penelope Andrews and Stephen Ellman, Johannesburg et Athènes: Witwatersrand University Press et Ohio University Press, 2001, pp. 119 à la p. 1.

7 Cf. Cyril Ramaphosa, “Negotiating a New Nation: Reflections on the Development of South Africa’s Constitution,” The Post-Apartheid Constitutions: Perspectives on South Africa’s Basic Law. Éd. Penelope Andrews and Stephen Ellman, Johannesburg et Athènes: Witwatersrand University Press and Ohio University Press, 2001, pp. 7184.

8 Cf. Roelf Meyer, “From Parliamentary Sovereignty to Constitutionality: The Democratisation of South Africa, 1990 to 1994,” The Post-Apartheid Constitutions: Perspectives on South Africa’s Basic Law. Éd. Penelope Andrews et Stephen Ellman Johannesburg et Athènes: Witwatersrand University Press et Ohio University Press, 2001, pp. 4870.

9 Cf. Nico Steytler et Johann Mettler, “Federal Arrangements as a Peacemaking Device during South Africa’s Transition to Democracy”. Publius: The Journal of Federalism 31 Automne 2001: pp. 93106.

10 Christina Murray, “Negotiating beyond Deadlock: From the Constitutional Assembly to the Court,” The Post-Apartheid Constitutions: Perspectives on South Africa’s Basic Law. Éd. Penelope Andrews and Stephen Ellman, Johannesburg et Athènes: Witwatersrand University Press et Ohio University Press, 2001, pp. 103127 à la p. 106.

11 Carmel Rickard, “The Certification of the Constitution of South Africa,” The Post-Apartheid Constitutions: Perspectives on South Africa’s Basic Law. Éd. Penelope Andrews et Stephen Ellman, Johannesburg et Athènes: Witwatersrand University Press et Ohio University Press, 2001, pp. 224304.

12 In re: Certification of the Constitution of the Republic of South Africa, 1996, 1996

(10) BCLR 518 (CC).

13 In re: Certification of the Amended Text of the Constitution of Republic of South Africa, 1996, 1997 (1) BCLR 1 (CC).

14 Heinz Klug, “Participating in the Design: Constitution-making in South Africa,” The Post-Apartheid Constitutions: Perspectives on South Africa’s Basic Law. Éd. Penelope Andrews et Stephen Ellman,Johannesburg et Athènes: Witwatersrand University Press and Ohio University Press, 2001, pp. 128163 à la p. 133. Nico Steytler, The Freedom Charter and beyond: Founding Principles for a Democratic South African Legal Order (Le Cap: Wyvern, 1991).

15 Klug, “Participating in the Design”, p.133.

16 Steytler et Mettler, “Federal Arrangements.”

17 Christina Murray, “The Constitutional Context of Intergovernmental Relations in South Africa,” Intergovernmental Relations in South Africa: The Challenges of Cooperative Government. Éd. Norman Levy et Chris Tapscott, Le Cap: School of Government, University of the Western Cape and Political Information and Monitoring Service, IDASA, 2001, pp. 6683 à la p. 77.

18 Steytler et Mettler, “Federal Arrangements.”

19 Premier of the Province of the Western Cape v. President of the Republic of South Africa, 1999 (4) BCLR 382 (CC), paragraphe 57.

20 Ibid., paragraphe 60.

21 See Rassie Malherbe et Dirk Brand, “Sub-national Constitutional Law: South Africa”. International Encyclopedia of Laws, Éd. P. Blanpain (Deventer: Kluwer, 2001.

22 In re: Certification of the Constitution of the Western Cape, 1997, 1997 9 BCLR 1167 (CC).

23 Rudolf Mastenbroek et Nico Steytler, “Local Government and Development: The New Constitutional Enterprise” Law, Democracy and Development l, N° 2 (1997): pp. 233250.

24 Cf. Jaap de Visser, “Powers of Local Government,” SA Public Law 17, no. 2 (2002): pp. 223243.

25 Ibid., 234.

26 Cf. Nico Steytler, “Concurrency and Co-operative Government: The Law and Practice in South Africa”, SA Public Law 16, N° 2 (2001): pp. 241254.

27 Cf. Nico Steytler, “The Settlement of Intergovernmental Disputes,” Intergovernmental Relations in South Africa: The Challenges of Co-operative Government. Éd. Norman Levy et Chris Tapscott, Le Cap: School of Government, University of the Western Cape and Political Information and Monitoring Service, IDASA, 2001, pp. 175206.

28 National Gambling Board v. Premier of KwaZulu-Natal, 2002 (2) BCLR 156 (CC), paragraphe 4.

29 In re: Certification of the Constitution of the Republic of South Africa, 1996, 1996 4 SA 744 (CC), paragraphe 287.

30 Ibid., paragraphe 291.

31 Uthukela District Municipality and others v. President of the Republic of South Africa, 2002 (2) BLCR 1220 (CC), paragraphe 14.

32 In re: Certification of the Constitution of the Republic of South Africa, 1996, 1996 4 SA 744 (CC).

33 Executive Council, Western Cape Legislature v. President of the Republic of South Africa, 1995 (4) SA 877 (CC).

34 Richard Simeon et Christina Murray, “Multi-Sphere Governance in South Africa: An Interim Assessment”, Publius: The Journal of Federalism 31 (Fall 2001): pp. 6592 (789) – Nicholas Haysom, “The Origins of Co-operative Governance: The ‘Federal’ Debates in the Constitution-making Process”, Intergovernmental Relations in South Africa: The Challenges of Co-operative Government. Éd. Norman Levy et Chris Tapscott, Le Cap: School of Government, University of the Western Cape and Political Information and Monitoring Service, IDASA, 2001, pp. 4365 à la p. 58.

35Steytler, “Concurrency and Co-operative Government, p. 246.

36 Cf. [de manière générale] Rassie Malherbe, “The Role of the Constitutional Court in the Development of Provincial Autonomy”, SA Public Law 16, N° 2 (2001): pp.255285.

37 MEC for Local Governemnt, Mpumalanga v. IMATU, 2002 (1) SA 76 (SCA).

38 Cf. Dirk Brand, “The Role of Provinces in International Relations,” Tradition und Weltoffenheit des Rechts: Festschrift für Helmut Steinberger. Éd. H-J. Cremer, T. Giegerich, D. Richter et A. Zimmermann, Berlin: Springer, 2001, pp. 677692 à la

p. 677 – Nico Steytler, “Cross-Border External Relations of South Africa’s

Provinces,” External Relations of Regions in Europe and the World. Éd. Rudolf Hrbek (Baden-Baden: Nomos Verlagsgesellschaft, 2003, pp. 247256.

39 Independent Electoral Commission v. Langeberg Municipality, 2001 (9) BCLR 883 (CC).

40 Cf. Katherine Savage, “Negotiating South Africa’s New Constitution: An Overview of the Key Players and the Negotiating Process,” The Post-Apartheid

Constitutions: Perspectives on South Africa’s Basic Law. Éd. Penelope Andrews et Stephen Ellman Johannesburg et Athènes: Witwatersrand University Press et Ohio University Press, 2001, pp. 164193.

41 Government of Republic of South Africa v. Grootboom, 2000 (11) BCLR 1169 (CC).

42 Minister of Health and Others v. Treatment Action Campaign and Others (1), 2002

(10) BCLR 1033 (CC) – Nico Steytler, “Federal Homogeneity from the Bottom Up: Provincial Shaping of National HIV/AIDS Policy in South Africa”, Publius: The Journal of Federalism 33 (Winter 2003): pp. 5974.

43 In re: Certification of the Constitution of the Province of KwaZulu-Natal, 1996, 1996 (11) BCLR 1419 (CC).

44 Meyer, “From Parliamentary Sovereignty to Constitutionality,” p. 54.

45 Constitution Amendment, Act 87 de 1998.

46 Constitution Amendment, Act 65 de 1998.

47 Constitution Second Amendment, Act 61 de 2001.

48 Constitution Second Amendment, Act 3 de 2003.

49 Basé sur les résultats des élections générales de 2004.

50 Steven Friedman, “No Easy Stroll to Dominance: Party Dominance, Opposition and Civil Society in South Africa”, The Awkward Embrace: One Party-domination and Democracy. Éd. Hermann Giliomee et Charles Simkins, Le Cap: Tafelberg, 1999, 97126 à la p. 104.