La Confédération suisse

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NICOLAS SCHMITT

Denis de Rougemont a décrit l’« amour de la complexité » qui marque le fédéralisme suisse. La caractéristique première de ce pays est en effet la diversité, qui n’est pas seulement due { l’existence de nombreux cantons (26), mais également à sa pluralité des langues (4), des cultures et des religions, sans oublier sa géographie

variée (villes, campagnes et zones de montagnes). La Suisse n’est pas une nation au

sens classique du terme, mais une « Willensnation » formée par la volonté de ses habitants de renouveler constamment les liens qui les unissent : « On défend en

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commun le droit de rester divers » . Cette unité dans la diversité fait de la Suisse un paradigme d’intégration politique (Karl Deutsch), ainsi que le rappelle le préambule de la Constitution qui parle des cantons « déterminés à vivre ensemble leurs

diversités dans le respect de l’autre et l’équité ». C’est en effet la Constitution, avec les institutions qu’elle instaure et les procédures démocratiques qu’elle met en place, qui contribue quotidiennement { l’intégration nationale et préserve l’État fédéral tel qu’il est voulu par ses habitants.

La Constitution suisse dans son contexte

État de 41 285 km2 (soit 223 fois moins que les États-Unis) situé au cœur de l’Europe, la Suisse abrite 7 261 000 habitants, parmi lesquels 20,1 % d’étrangers.Elle comprend 26 cantons et 2 900 communes. Fruit de l’histoire, cette division politique reflète des différences d’ordre géographique, linguistique et religieux, et exprime de multiples contrastes sociaux et culturels.Du point de vue géographique, le pays est divisé en cinq zones. La chaîne des Alpes,

vaste, mais peu peuplée en raison de conditions défavorables, le traverse d’est en

ouest et constitue une importante ligne de séparation. Au nord, les Préalpes sont une zone de montagnes de moyenne altitude. Elles forment la transition avec le Plateau, une bande relativement étroite (50 à 100 km) qui s’étend du lac Léman jusqu’au lac de Constance ; c’est la zone la plus densément peuplée, mais aussi celle qui possède les meilleures terres. Le pays est bordé { l’ouest et au nord-ouest par les montagnes du Jura. Sur le versant sud des Alpes, le canton du Tessin et quelques

vallées des Grisons s’ouvrent { l’influence méditerranéenne. L’importance des reliefs est soulignée { l’art. 50, al. 3 CF, qui rappelle que la Confédération doit tenir

compte des conséquences éventuelles de son activité pour les régions de montagne afin de protéger leur intégrité écologique.

La Suisse compte quatre langues nationales, { savoir l’allemand (63,7 %), le français

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(20,4 %), l’italien (6,5 %) et le romanche (0,5 %) , que l’art. 4 CF place sur un pied d’égalité. Les 8,9 % restants de la population pratiquent d’autres idiomes. Du point de vue de leur utilisation, l’art. 70, al. 1 reconnaît les trois premières comme langues officielles. En cas de divergence entre les trois versions d’une loi fédérale, le juge doit choisir celle qui exprime au mieux la volonté du législateur, car aucune n’a la priorité. Les citoyens parlant un idiome romanche ont la possibilité de l’utiliser dans leurs relations officielles avec l’Administration fédérale, ce qui en fait une langue

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semi-officielle au niveau fédéral . Le souci de la Confédération est de préserver et de

promouvoir la diversité linguistique. L’art. 70, al. 3 assure les quatre cantons plurilingues d’un soutien fédéral dans l’exécution de leurs tâches particulières (p.

ex. écoles bilingues, services de traduction et publication des lois dans plusieurs langues,). Mais la réalité est surtout marquée par la richesse dialectale. Les Suisses alémaniques parlent usuellement le Schwyzertütsch, un dialecte germanique dont les variétés sont encore plus nombreuses que les cantons. Au Tessin aussi divers dialectes italiens sont employés, surtout dans les vallées. C’est seulement en suisse romande que le « français de France » s’est imposé au détriment des patois cantonaux. Cette réalité pose des problèmes de communication que certains aimeraient résoudre grâce { l’anglais en privilégiant, par exemple, son enseignement dans la scolarité obligatoire au détriment des autres langues nationales. En ce qui concerne la religion, le pays est aussi divers que pour les langues : Églises catholique romaine (41,8 %), évangélique réformée (c.-à-d. protestants, 33 %),

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chrétiennes orthodoxes (1,8 %), catholique chrétienne (0,2 %), communautés islamiques (4,3 %) ou judaïques (0,2 %), sans compter les autres communautés ou citoyens se déclarant sans religion (15,4 %).

L’art. 72 CF prévoit que la réglementation des relations entre l’Église et l’État est du

ressort des cantons, mais les art. 8 (égalité) et 15 CF (liberté de croyance) interdisent toute discrimination. Les cantons sont ainsi tenus de respecter le principe de la neutralité confessionnelle de l’État, qui est inhérent { la liberté religieuse, sans exiger toutefois des pouvoirs publics une neutralité absolue et une

indifférence totale { l’égard des religions. La Constitution s’ouvre d’ailleurs sur cette

invocation « Au nom de Dieu Tout-puissant ! ».

Cette souplesse a permis aux cantons d’aménager leurs relations avec l’Église en tenant compte du fait religieux et selon des modèles divers que l’on peut, en

schématisant, ramener à trois principaux : la reconnaissance aux principales Églises

d’un statut de droit public conforme aux principes d’autonomie réciproque, une

reconnaissance de droit public des principales confessions assorti du maintien de

liens étroits entre l’Église et l’État, ou encore un régime de séparation (relative)

inspiré par le système français.

La religion a dès lors perdu son caractère conflictuel. Alors qu’en 1848, les protestants ont pu imposer leur vision de l’État fédéral, au fil du temps les

catholiques sont devenus majoritaires et des conseillers fédéraux catholiques ont fait leur entrée au gouvernement. Les dispositions constitutionnelles anticléricales

(l’interdiction des jésuites, par exemple) ont fini par disparaître, la dernière étant la nécessité de l’approbation du Conseil fédéral pour la création de nouveaux évêchés, abrogée le 10 juin 2001.

La création de l’État fédéral

En 1291, les trois premiers cantons Uri, Schwyz et Unterwald, composé en fait des deux demi-cantons d’Obwald et de Nidwald – ont fondé une alliance de type confédéral, qui se référait cependant à une antiqua confoederatio antérieure

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remontant à 1273.Ces trois cantons dits primitifs ont été rejoints par Lucerne en 1332, Zurich en 1351, Glaris et Zoug en 1352 (époque à laquelle ces communautés alliées ont commencé à apparaître sous le nom de cantons suisses), Berne en 1353, Fribourg et Soleure en 1481, Bâle et Schaffhouse en 1501 et Appenzell en 1513. On parlait alors de Confédération des XIII cantons. Les trois derniers cantons Genève, Neuchâtel et le Valais ont rejoint la Confédération à la suite de la défaite de

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Napoléon en 1815.Cela signifie qu’il a fallu plus de 500 ans pour achever le

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processus d’intégration en Suisse.Après la brève guerre dite « du Sonderbund », qui a opposé en 1847 les cantons protestants et progressistes à une alliance

séparatiste de cantons catholiques et conservateurs, la Suisse moderne s’est

constituée sur la base de la première Constitution fédérale de 1848, reflet de la guerre du Sonderbund ainsi que des révolutions populaires qui avaient lieu en Europe. En 1874, une révision totale, entreprise pour corriger les imperfections du texte de 1848 sans remettre en cause ses éléments essentiels, a été approuvée à la double majorité du peuple et des cantons. Elle est restée en vigueur pendant 125 ans, bien qu’elle ait subi quelque 155 révisions partielles. Une nouvelle Constitution, qui représentait une « mise à jour » du texte précédent, a été adoptée par un vote populaire le 18 avril 1999 pour entrer en vigueur le 1er janvier 2000. Cela signifie que le système politique n’a pas été fondamentalement modifié depuis 1848. Même s’ils ne sont pas aussi célèbres que leurs homologues américains, les Pères

fondateurs de la Constitution suisse poursuivaient un but noble et généreux : ils voulaient apporter au pays, { travers la modernité d’une constitution fédérale alors inédite, à la fois la paix et la sécurité, la liberté et la reconnaissance des diversités. Ils

ont dû trouver un subtil compromis entre la création d’une certaine unité nationale

et le maintien de toutes les particularités cantonales, que souhaitaient les conservateurs. Pour ce faire, ils se sont notamment inspirés des États-Unis pour le fédéralisme et le

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bicaméralisme , des progrès de la Constitution helvétique de 1798, de la Révolution de 1830 en France et de la régénération qu’elle a entraînée dans les cantons suisses, sans oublier Rousseau pour les éléments philosophiques et Napoléon pour les aspects pratiques. En effet, une large part des acquis de 1848 provient de la Révolution française de 1789 ou de son importation en Suisse lors de l’invasion par Napoléon en 1798. Celui-ci transforma le pays en république centralisée « une et indivisible » { l’image de la France. Il rabaissa les cantons au rang de subdivisions administratives du nouvel État, créa une citoyenneté suisse, imposa le suffrage universel masculin, introduisit certains droits et libertés fondamentaux et supprima les droits et privilèges hiérarchiques entre les citoyens.

Mais au-delà de ces influences « intellectuelles », les Pères fondateurs n’ont pas été soumis à des pressions extérieures, ce qui est une chance pour un pays composite

qui aurait risqué l’implosion si ses grands voisins s’étaient ingérés dans ses affaires. Cela contribue { expliquer l’attitude ambiguë de la Suisse vis-à-vis du monde extérieur. De nombreux Suisses n’ont pu admettre l’invasion française, ni par la

suite les interventions des alliés qui avaient vaincu Napoléon. Le pays semble parfois replié sur lui-même, ainsi que le montrent ses relations assez délicates avec

l’Union européenne et sa neutralité de longue date. Mais cette isolation ne

correspond pas aux désirs de toute la population. La Suisse pratique par ailleurs une politique universaliste basé sur la neutralité qui présente le pays comme un membre de la communauté internationale et un acteur sur la scène mondiale. La Suisse a donc accueilli, en son temps, la Société des nations, puis le siège européen

de l’ONU et d’innombrables organisations internationales. L’adhésion { l’ONU en

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2002, par un vote populaire, en est le symbole.Avant 1848, le pays était une confédération de cantons souverains que liaient

d’innombrables traités d’alliance. La onstitution de 1848 a créé une véritable fédération, qui se signale par certains traits incontestés que l’on appelle des principes structurels : l’État de droit, la démocratie, le fédéralisme, l’État social. Elle a été conçue sur la base de valeurs spécifiquement helvétiques : le lien entre des États a été remplacé par un contrat entre des individus, mais aussi entre des peuples, les peuples des cantons. Ainsi, bien que la nouvelle constitution de 1848n’ait pas été acceptée par huit cantons — ses citoyens ont sans doute été effrayés par la modernité du texte elle a pu acquérir sa pleine légitimité. Ceux-ci ont pu préserver un fort sentiment identitaire, voire un certain patriotisme, au point de seconsidérer comme des micro-États. Dans leurs constitutions, certains cantons se

baptisent « État libre », « canton souverain », ou encore « république et canton ». Par souci de cohésion nationale, on a cependant conservé la dénomination officielle de « Confédération helvétique », Eidgenossenchaft en allemand, au lieu de Bundesstaat. Le titre officiel de la Constitution est donc « Constitution fédérale de la Confération suisse ». La cohésion des cantons est un souci permanent pour un État qui craint la

reconduction d’une alliance séparée telle que celle qui avait conduit aux troubles de

1847. Comme la Confédération dispose de peu de moyens contraignants pour imposer ses vues, le principe de la fidélité confédérale revêt une grande importance.

L’art. 44, al. 1 CF prévoit que la Confédération et les cantons s’entraident dans

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l’accomplissement de leurs tâches et collaborent entre eux. Cette disposition reste

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surtout une maxime politique, parce que les cantons bénéficient d’une grande liberté pour aménager et faire fonctionner leurs institutions, mais elle a le mérite de

rappeler la nécessité d’un esprit d’association. D’autres dispositions insistent sur l’exigence pour les cantons ne pas agir de manière contraire au droit fédéral ou aux intérêts de la Confédération et des autres cantons (notamment l’art. 48, al. 3 ou l'art.

56, al 2 CF).

Depuis 1848, aucun conflit de portée nationale n’est venu troubler l’ordre interne,

bien que la Confédération ait dû intervenir militairement à dix reprises pour la

sauvegarde de l’ordre public dans les cantons, { des degrés divers, la dernière fois en 1932 { Genève. La question d’une sécession n’a jamais été { l’ordre du jour, même dans le contexte de la seule modification territoriale d’importance depuis 1848, la création du canton du Jura en 1979, né d’une scission de la partie nord

(francophone et catholique) du canton de Berne (majoritairement germanophone et protestant). Elle s’est faite sur la base de négociations parfois ardues entre les parties concernées, puis d’une cascade de plébiscites, autrement dit d'une suite de trois votes populaires finalement entérinée par l’ensemble du corps électoral du

pays. La Suisse a réussi à résoudre ce contentieux de manière pacifique, même si le

processus s’est révélé parfois douloureux, surtout dans un des sept districts

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jurassiens, celui de Laufon. La procédure suivie s’est cependant révélée fort compliquée, de sorte que la Constitution de 1999 contient désormais un article 53,

qui prévoit une procédure simplifiée pour les modifications territoriales d’un

canton, alors que la modification du nombre des cantons ou de leur statut reste

soumise { la modification de l’art. 1 CF.

La mise à jour constitutionnelle de 1999

L’affirmation de la diversité comme élément fédérateur du peuple suisse est une idée qui a fait son chemin (cf. le préambule ou l’art. 70, al. 2 CF). Au fur et { mesure

que la démocratie, le fédéralisme et la recherche du consensus se sont ancrés dans la société suisse et dans sa Constitution, il est devenu de plus en plus difficile de réformer le système.

La Constitution de 1999 est le fruit d’un long processus visant { mettre { jour et { rationaliser le texte puisque l’Assemblée fédérale avait confié au Conseil fédéral le mandat de préparer une nouvelle constitution dès 1966. Un projet a été déposé en 1977, mais a rencontré de vives réticences en procédure de consultation, largement en raison du fait qu’il paraissait sacrifier la clause générale de compétence en faveur des cantons au profit d’une énumération détaillée des compétences fédérales et

cantonales. Il a fallu attendre le 3 juin 1987 pour que le processus soit relancé, avec une demande de l’Assemblée fédérale visant la « mise à jour » du texte de 1874. Ce terme signifie qu’il ne fallait pas changer fondamentalement le système, mais

uniquement présenter le droit constitutionnel écrit et non écrit de manière

compréhensible, l’ordonner systématiquement et en harmoniser la densité

normative et la langue, car le texte avait perdu de sa cohérence à la suite des

quelque 155 modifications partielles. Par la suite, l’idée s’imposa d’adopter une nouvelle constitution pour l’an 2000. Des projets du Conseil fédéral furent mis en

consultation en 1995 et en 1996, avec un système de variantes qui permettait

d’éviter que les thèmes les plus litigieux soient intégrés { la Constitution, au risque de la faire échouer devant le peuple. Le texte définitif n’a pas été élaboré par une assemblée constituante, mais par le Parlement au cours de l’année 1998. Il a été

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accepté par un vote populaire le 18 avril 1999, de sorte que la nouvelle Constitution a pu entrer en vigueur le 1er janvier 2000.

L’exécution a cependant dépassé l’intention. L’entreprise ne s’est pas limitée { une

simple mise à jour. Des dispositions inédites ont surgi, dispositions qui

correspondaient souvent { des pratiques déj{ établies, mais qui n’avaient encore jamais reçu d’expression constitutionnelle. Plusieurs de ces nouveautés concernent le fédéralisme. En effet, depuis les années 1990, les cantons ont tenté de mieux faire valoir leurs droits, notamment en fondant la Conférence des gouvernements cantonaux (CdC) par la convention du 08-10-1993. Celle-ci s’est attaquée { obtenir une meilleure reconnaissance des cantons dans la Constitution de 1999, parce que

nombre de politiciens cantonaux considéraient qu’au cours du temps les cantons

avaient perdu trop de compétences au profit de la Confédération. Ils souhaitaient rappeler à cette dernière que les cantons avaient, et devaient avoir, suffisamment de

compétences et d’identité propres. Ses efforts se sont traduit par l’adoption des

articles 42 à 48, 55 et 56 du titre 3 « Confédération, cantons et communes », des dispositions qui tendent à préciser et préserver l’autonomie des cantons et leur participation aux processus de décision.

Plusieurs réformes fondamentales n’apparaissent toutefois pas encore dans la

Constitution de 1999, qui a renvoyé les questions contestées à des modifications ultérieures. La réforme de la justice est déj{ acceptée, mais elle n’est pas encore entrée en vigueur. En ce qui concerne la démocratie, un ambitieux projet touchant

aux droits populaires a été redimensionné par les Chambres avant d’être accepté

par un vote populaire le 9 février 2003 ; il institue notamment une « initiative

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générale ». Les réformes du fédéralisme et du gouvernement sont toujours en

préparation. Quant { la participation de la Suisse au processus d’intégration européenne, elle s’est surtout traduite jusqu’{ ce jour par la conclusion d’accords bilatéraux avec l’Union européenne, dont certains ont la valeur d’accords d’intégration partielle.

II. Les principes constitutionnels de la fédération

Le statut des cantons

Elmer de Vattel fut le premier { postuler l’égalité des États, quelle que soit leur dimension. À ce titre, les cantons suisses sont des États membres disposant de

compétences et d’une autonomie aussi substantielle que possible quant { leur

organisation, leur financement et la définition de leurs tâches, mais dans les limites des mandats fédéraux constitutionnels et législatifs qui leur sont imposés (art. 43 CF). En dépit du terme « souverain » utilisé { l’art. 3 CF, ce ne sont pas des États au sens du droit international, car ils ne disposent pas de la « compétence des compétences ». En Suisse, les 26 cantons énumérés { l’art. 1 CF sont tous égaux, y compris les 6 cantons qui ont 1 député au lieu de 2 au Conseil des États (art. 150, al. 2 CF) et dont la voix compte pour une demi-voix lors des modifications constitutionnelles (art. 142, al. 4 CF). Mais cette égalité de jure cache de grandes différences de facto qui entraînent une certaine asymétrie dans la conduite des politiques publiques. Zurich est presque 100 fois plus peuplé que les Rhodes intérieures d’Appenzell, ce qui conduit certains experts à préconiser une pondération des cantons, comme au Bundesrat allemand.

La Constitution prévoit deux garanties de l’intégrité des cantons. La première est l’art. 1, qui les énumère, et la seconde l’art. 53, selon lequel la Confédération protège l’existence, le statut et le territoire des cantons. Certaines constitutions cantonales mentionnent d’ailleurs le fait que le territoire cantonal est garanti par la

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Confédération.

En vertu de l’art. 51 CF, chaque canton se dote d’une constitution démocratique qui

doit avoir été acceptée par le peuple et pouvoir être révisée si la majorité du corps électoral le demande. Le principe démocratique implique au moins l’initiative constitutionnelle, le référendum constitutionnel obligatoire et une démocratie parlementaire, mais une large majorité de la doctrine considère qu’il impose également la séparation des pouvoirs. Les constitutions cantonales et leurs révisions partielles doivent obtenir la garantie de la Confédération. Celle-ci leur est accordée si elles ne sont pas contraires au droit fédéral. Rares sont donc les institutions interdites aux cantons. Les constitutions cantonales paraissent très semblables, mais, au niveau des détails, permettent à chaque canton d’exprimer ses spécificités. D'ailleurs, nombre de cantons se sont récemment dotés de nouvelles constitutions, notamment pour obtenir une meilleure structuration des pouvoirs et un renforcement des Parlements cantonaux. Elles ne sont cependant pas égales à la Constitution fédérale, en vertu de la primauté du droit fédéral (art. 49 CF). La question de leur interprétation authentique ne se pose pas vraiment. Il n’y a pas en Suisse de telle tradition, ni au niveau fédéral, ni au niveau cantonal. Il serait

impensable d’imaginer une disposition confiant un tel droit, par exemple au

Parlement cantonal. Dans la mesure où la Constitution reflète et incorpore la volonté du peuple souverain, seul celui-ci peut l’interpréter. Certains cantons (Jura, Nidwald, Grisons) ont toutefois instauré une cour constitutionnelle. En revanche, les instances judiciaires des cantons sont tenues, de par la Constitution fédérale,

d’examiner { titre préjudiciel la conformité avec la Constitution et les lois fédérales du droit cantonal qu’elles ont la responsabilité d’appliquer. Elles sont également tenues de ne pas appliquer une règle cantonale reconnue comme non conforme à la répartition des compétences. Cette obligation découle de la primauté du droit constitutionnel fédéral : c’est ce qu’on appelle le contrôle préjudiciel des normes.

La répartition des compétences

L’article 3 CF n’a pas changé depuis 1848. Il prévoit que les cantons sont souverains dans la mesure où leur souveraineté n’est pas limitée par la Constitution fédérale. Cela signifie qu’ils exercent toutes les compétences qui n’ont pas été transférées { la

Confédération par une modification constitutionnelle adoptée à la double majorité du peuple et des cantons (art. 42, al. 1 CF). Au surplus, la Confédération n’assume que les compétences qui doivent être réglées de manière uniforme ainsi que le

rappelle l’art. 42, al. 2 CF, disposition censée traduire, sans le nommer, le principe de

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subsidiarité. De la sorte, une fonction importante de la Constitution consiste à énumérer les compétences de la Confédération. Inversement, il a paru sage de rappeler que

certaines compétences reviennent aux cantons, ce qui signifie également qu’ils ont

le devoir de les assumer (p. ex., les art. 78, al. 1 sur la protection de la nature ; 69, al. 1 sur la culture ; 62, al. 1 sur l’instruction publique et ; 70, al. 2 sur les langues). La clarté de l’art. 3 CF pourrait faire penser que la répartition des compétences est

limpide du point de vue typologique. Or, le texte de la Constitution ne contient aucune typologie officielle, c'est-à-dire que bien qu'elle énumère une liste de compétences, elle n'indique pas à quel ordre de gouvernement elles doivent être confiées. La répartition des compétences dérive donc de la jurisprudence et de la doctrine, qui ont pris l’habitude de distinguer les compétences selon leur portée et leurs effets. Du point de vue de la portée, on trouve des compétences fédérales globales (p. ex. protection de l’environnement, art. 74 CF) ; limitées aux principes (p. ex. aménagement du territoire, art. 75 CF, harmonisation fiscale, art. 129 CF) ; fragmentaires, c.-à-d. qu'un pouvoir n'est confié à la Confédération qu'en partie (p. ex., protection de la santé, art. 118 CF) ou encore incitatives, c.-à-d. que la Confédération peut proposer des mesures incitatives aux cantons dans certains domaines (p. ex., compréhension entre les communautés linguistiques, art. 70, al. 3 ;

sauvegarde d’objets présentant un intérêt national, art. 78, al. 3 CF).

Quant aux effets, il existe des compétences fédérales exclusives (p. ex., douanes, art. 133 CF ou la monnaie, art. 99 CF) ; concurrentes, c.-à-d. que les cantons restent

compétents aussi longtemps que la Confédération n’a pas fait usage de sa

compétence (p. ex. assurance maternité, art. 116, al. 3 CF) ; limitées, c.-à-d. que le législateur fédéral doit se borner à énoncer des principes (p. ex. aménagement du territoire, art. 75 CF) ; et enfin parallèles, c.-à-d. que l’exercice d’une compétence fédérale n’a aucun effet sur la compétence correspondante des cantons (p. ex. langues, art. 70 CF ou impôt sur le revenu, art. 128 et 129 CF). Au cours du temps, de nombreuses compétences ont été transférées à la

Confédération, comme l’agriculture, les transports ou l’énergie. De plus, le fait que

les cantons exécutent en principe la législation qui a été adoptée par la Confédération (fédéralisme d’exécution) a souvent permis { celle-ci de légiférer avec un tel luxe de détails que les cantons se transforment en simples organes

d’exécution. On le voit, par exemple, en matière de protection de l’environnement,

domaine dans lequel le législateur fédéral ne laisse plus grand-chose au hasard.

Cette tendance pourrait être amplifiée par l'adhésion { l’Union européenne.Il n’est dès lors pas étonnant que le plus important chantier politique auquel s’est

attelé le pays soit actuellement la nouvelle répartition des tâches et la péréquation financière (RPT), qui a fait l’objet de longues années d’étude et n’est pas encore terminée. Plusieurs points de la réforme ont été écartés par le Parlement en cours

de route, de peur de provoquer une accumulation d’oppositions qui risquerait de

faire échouer le projet par un vote populaire, notamment en raison des transferts possibles de charges financières de la Confédération vers les cantons… et leurs contribuables. Le but de cette RPT est double. Premièrement, elle veut désenchevêtrer les charges et les tâches de la Confédération et des cantons. Au stade actuel du débat, la Confédération se verrait attribuer six domaines dont elle serait seule responsable

(parmi lesquels la défense nationale, les routes nationales, l’agriculture et

l’assurance-vieillesse et survivants (AVS)), alors que les cantons auraient la responsabilité exclusive de treize domaines (notamment les écoles spéciales, les

bourses d’études, le sport scolaire, le contrôle du bruit, la circulation et les maisons

de repos (homes)). La collaboration Confédération-cantons serait améliorée dans douze domaines appelés tâches communes (notamment la chasse et la pêche, la protection des eaux, la protection de la nature, les aéroports et les prestations complémentaires à l'AVS), et la coopération intercantonale serait renforcée pour neuf tâches cantonales communes (notamment l’exécution des peines, les universités, les institutions culturelles, le traitement des déchets, les transports publics et les prestations aux handicapés). Certains projets demeurent cependant contestés, en particulier la cantonalisation des homes et ateliers pour handicapés et personnes âgées. Deuxièmement, la RPT entend harmoniser la capacité financière des cantons. Alors

qu’actuellement la moitié du travail péréquatif porte sur les subventions, la réforme

prévoit que les capacités financières des cantons seront harmonisées au moyen de trois instruments séparés et indépendants des aides financières. D’abord, une péréquation des ressources, basée sur le fait que les cantons sont classés en cantons à fort ou à faible potentiel de ressources selon leur capacité économique par habitant, autrement dit en cantons « riches » et « pauvres ». Les seconds reçoivent une aide aussi bien de la part des premiers que de la Confédération. Cela devrait

avoir pour effet un accroissement de leur capacité d’action et une diminution de leur

fiscalité. Ensuite, une compensation des charges qui a pour but de compenser les charges liées à des facteurs géotopographiques (régions de montagne) ou sociodémographiques (cantons-centres), charges particulières que les cantons ne peuvent influencer. Enfin, une compensation des cas de rigueur doit permettre

d’atténuer les effets du passage au nouveau système.Voil{ pour l’avenir ! À l’heure actuelle, un domaine qu’il est difficile de passer sous

silence est celui des questions de sécurité. En la matière, la répartition des compétences est également complexe. L’application du droit fédéral et le maintiende l’ordre public et de la sécurité sont principalement organisés et exécutés par les

cantons. Comme la charge qui en résulte est souvent très lourde, notamment pour les plus petits d’entre eux, ils ont signé des conventions de coopération mutuelle appelées concordats. La police fédérale, qui a longtemps joué un rôle essentiellement administratif, dispose désormais de nouvelles compétences pénales.

En cas de trouble ou de menace grave { l’ordre public, l’armée peut intervenir (art.

52, al. 2 CF).

D’un point de vue judiciaire, il n’y a plus de différences entre Suisses du point de vue de l’origine depuis 1798 (art. 24 CF), en dépit des différences juridiques entre les cantons et du fait qu’il peut y avoir des disparités dans le droit applicable entre nationaux et étrangers. La Constitution de 1848 avait prévu la reconnaissance

mutuelle des jugements, procédure devenue caduque en 1912 avec le nouveau Code

civil unifié. C’est également grâce au Code pénal, et non { la Constitution, qu’il n’y a plus besoin d’« extrader » les délinquants d’un canton { l’autre. Les questions de for sont, elles aussi, réglées au niveau légal.

Les conflits de compétence

La Constitution reconnaît explicitement à son art. 189, al. 1, lit. d CF la possibilité de conflits de compétences entre les autorités fédérales et cantonales. Elle confie leur résolution au Tribunal fédéral. La règle de conflit utilisée par celui-ci a été élaborée par la doctrine et la jurisprudence, qui se sont traditionnellement référées au principe dit de la force dérogatoire du droit fédéral désormais ancré { l’art. 49, al. 1 : le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire. Ce principe implique que les cantons n’ont pas le droit d’édicter une règle contraire au droit fédéral et que, si une règle cantonale déj{ en vigueur s’avère contraire au droit fédéral, les autorités cantonales doivent refuser de l’appliquer : la disposition est nulle ou annulable pour défaut de compétence. Bien qu’elle contienne des éléments de compétition et de mise en concurrence, la vie confédérale en Suisse repose sur l’idée que les cantons et la Confédération ne

doivent pas se comporter comme des rivaux, mais comme des partenaires travaillant { une œuvre commune. Les conflits sont résolus par la négociation et la recherche de compromis, ainsi que le rappelle l’art. 44, al. 3 CF. Cette disposition n’est pas une norme procédurale, mais une exhortation : une fois que les fronts se

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sont cristallisés, il devient trop tard pour tenter une médiation.

Concrètement, des mécanismes existent pour prévenir les conflits. Ainsi, l’adoption de chaque loi est précédée d’une procédure de consultation et d’un intense dialogue

politique (art. 147 CF). De plus, en raison de la petite taille du pays, les personnes qui exercent des fonctions importantes se connaissent. Si un problème surgit, elles

peuvent l’aplanir par une discussion bilatérale. Par ailleurs, les Conférences

intercantonales regroupant les membres des gouvernements cantonaux

responsables d’un domaine spécifique (éducation, justice et police, santé, etc.) sont

un espace de dialogue entre toutes les parties. Elles peuvent inviter à leurs réunions le conseiller fédéral chargé du dossier qui est abordé, et leur ordre du jour prévoit un point consacré aux questions contentieuses.

III. La structure et le fonctionnement des institutions

Le système en général

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Il s’agit d’un système d’assemblée flanqué de gouvernements collégiaux. Le Parlement (Assemblée fédérale) est bicaméral avec un Conseil national de 200 membres représentant les citoyens et un Conseil des États de 46 membres représentant les cantons. La fonction exécutive est exercée par un Conseil fédéral de sept membres que l’Assemblée fédérale ne peut pas révoquer, contrairement à ce qui se passe dans un système parlementaire. De son côté, le Conseil fédéral n’a pas le pouvoir de dissoudre l’Assemblée. C’est celle-ci qui élit individuellement chaque membre du Conseil fédéral (art. 175).

Tableau nº 1 Répartition des compétences internes au sein de la Confédération

Compétence attribuée à Compétence attribuée au

Domaine

l’Assemblée fédérale Conseil fédéral

Législation art. 164 et 165 art. 181 et 182
Affaires étrangères art. 166 art. 184
Finances art. 167 art. 183
Relations Confération art. 172 art. 186
cantons
Autres art. 173 art. 187

L’élection du Conseil fédéral par le peuple – question qui fait débat devrait être entourée de nombreuses garanties procédurales pour ne pas avoir d’impact

défavorable sur la protection des minorités. Légalement, elle pourrait se révéler

incompatible avec la haute surveillance qu’exerce le Parlement sur l’exécutif (art. 169 CF), l’élection directe du second pouvant affaiblir par trop le premier. L’existence de gouvernements collégiaux en Suisse, tant au niveau fédéral que cantonal, correspond à la nécessité de répartir le pouvoir pour obtenir un consensus aussi large que possible entre toutes les composantes du pays. La séparation des pouvoirs est un principe fondamental, parce qu’il est l’expression même du républicanisme. Il est cependant plus implicite au niveau fédéral qu’au

niveau cantonal, de sorte que la réalité ne correspond pas toujours à une stricte doctrine. La section 3 du chapitre 2 du titre 5 de la Constitution prévoit un partage des compétences interne à la Confédération qui ne doit pas être confondu avec le partage des compétences entre celle-ci et les cantons : les dispositions topiques montrent que les compétences de l’Assemblée fédérale et du Conseil fédéral se recoupent assez souvent (cf. tableau nº 1).

Dans de telles circonstances, les deux institutions doivent exercer leurs compétences en commun, en dépit de certaines différences fonctionnelles. Par exemple, le Parlement adopte les lois, mais les projets sont, dans la majorité des cas,

élaborés par le gouvernement (art. 181). De plus en plus souvent, l’Assemblée a tendance { demander { l’avance les projets d’ordonnances d’exécution, c'est-à-dire des exemples de règlements qui seraient promulgués par l'exécutif afin de mettre en vigueur un projet de loi. En politique extérieure notamment, la Constitution ne répartit pas les compétences entre Parlement et gouvernement selon des règles impératives, mais en fonction de critères organiques et surtout de légitimité démocratique. Le modèle proposé se veut donc coopératif, et il en résulte que les conflits entre les deux pouvoirs sont rares. La notion de haute surveillance joue à cet

égard un rôle important, bien qu’elle exige du temps et de l’énergie.

L’Assemblée fédérale

Aux termes de l’art. 148, al. 1 CF, il s’agit de l’autorité suprême de la Confédération : notamment en cas de conflit entre les pouvoirs supérieurs (Conseil fédéral, Tribunal

fédéral), c’est elle qui statue (art. 173, al. 1, lit. i CF).

Dans ce Parlement bicaméral, les 200 députés au Conseil national sont élus dans des circonscriptions qui correspondent aux cantons selon une procédure uniforme. Les

plus grands cantons disposent d’un nombre considérable de députés (34 pour Zurich et 26 pour Berne), alors que les plus petits n’en ont qu’un seul (Appenzell, Glaris, Obwald, Nidwald et Uri). Parce que la majorité des cantons n’ont que peu de

députés, un changement politique de la députation à Berne implique une sérieuse modification des rapports de force au sein du canton ; dès lors, la composition du Conseil national participe à la stabilité politique du pays.

En ce qui concerne l’élection des 46 députés au Conseil des États, il y a eu une

évolution en raison du transfert de leur élection du législatif cantonal vers le peuple. Désormais, ils sont élus au suffrage universel dans chaque canton selon une procédure que celui-ci choisit lui-même (art. 159, al. 3 CF). Mais les députés votent sans instructions (art. 161, al. 1 CF). L’élection populaire des membres du Conseil des États signifie qu’ils ne sont pas des délégués des cantons : le Conseil des États est moins une représentation des cantons qu’un système de compensation. Cette

lacune en ce qui a trait à la représentation des cantons a contribué à la création de la CdC en 1993. Les cinq cantons les plus peuplés disposent théoriquement – d’une majorité de blocages au Conseil national. Mais les deux Chambres ont exactement les mêmes pouvoirs, contrairement au Sénat américain ou au Bundesrat allemand (art. 156, al. 2 CF). L’existence – supposée – d’un lien spécial entre les cantons et le Conseil des États a maintenu un certain fédéralisme « engagé ». Mais cet effet tend à diminuer et, même si les liens restent étroits entre les parlementaires fédéraux et les gouvernements cantonaux, presque tous les cantons ont désormais interdit aux

membres de leur gouvernement de siéger simultanément { l’Assemblée fédérale.

Le Conseil fédéral

La Constitution contient des dispositions fondamentales relatives { l’administration fédérale (art. 178 et 179 CF) et au Conseil fédéral, autorité directoriale et exécutive suprême de la Confédération (art. 174 CF), dont les compétences sont énumérées aux art. 180 à 187. Les cantons ne sont pas directement représentés au sein du Conseil fédéral, en dépit de la disposition prévoyant que celui-ci doit respecter la diversité géographique et linguistique du pays (art. 175, al. 4 CF). Le Conseil fédéral est un gouvernement dit de coalition dans lequel cohabitent les quatre principaux partis politiques du pays. Cela n’est pas imposé par la Constitution, mais le fruit d’un accord tacite entre les grandes formations politiques, qui est lui même le résultat

d’une évolution institutionnelle traduisant les rapports spécifiques entre l’Assemblée fédérale, le Conseil fédéral et le peuple dans une démocratie de type référendaire. Après 1848 et pendant 43 ans, le Parti radical (PR, droite libérale)

monopolisa le gouvernement. En 1891, l’Assemblée fédérale élut pour la première fois un catholique conservateur (aujourd’hui Parti démocrate-chrétien, PDC), ce qui fut le premier pas vers un système de gouvernement marqué par la concordance. Ce

parti obtint un deuxième siège en 1919. En 1929, le Conseil fédéral vit l’apparition d’un membre du Parti agrarien, (aujourd’hui appelé Union démocratique du centre,

UDC). La première participation des socialistes au gouvernement remonte à la Deuxième Guerre mondiale, période propice aux unions sacrées. Cette évolution trouva son aboutissement lors de l’élection partielle du jeudi 17 décembre 1959, où quatre nouveaux conseillers fédéraux durent être élus. L’Assemblée fédérale opta

pour une composition politique communément appelée « formule magique » : deux PR, deux PDC, deux PS et un UDC. La relative stabilité de l’équilibre entre les forces politiques a permis { cette composition de subsister jusqu’en 2003, mais elle est

remise en question par la tendance à la polarisation du débat politique, avec la montée de l’UDC { droite et du PS { gauche, et l’affaiblissement du centre (PR, PDC et libéraux).

Les élections fédérales d’octobre 2003 ont confirmé une poussée { droite, qui s’est traduite lors de la réélection du Conseil fédéral le 10 décembre par l’éviction d’un des deux représentants du PDC au profit d’un candidat UDC, parti qui occupe désormais deux sièges, conformément à son importance électorale. Les avis restent cependant partagés quant à savoir si cette rocade représente la mort de la « formule magique », ou simplement une évolution qui s’inscrit dans la modification des rapports de force politiques.

La stabilité du gouvernement, qui n’a jamais été remplacé en totalité depuis 1848,

est due notamment aux mécanismes constitutionnels prévoyant que ses membres sont élus pour quatre ans (art. 175, al. 3) et ne peuvent être démis de leur fonction.

Dès lors, ils demeurent en fonction une dizaine d’années en moyenne. Son caractère collégial permet en plus de représenter les minorités au sommet de l’État. Cependant, ce travail d’équilibre est moins une obligation constitutionnelle que le fruit d’une coutume ({ l’exception de l’art. 175, al. 4 CF) : lors de chaque vacance, les candidats doivent satisfaire aux divers critères qui caractérisent le siège à repourvoir (parti politique, canton, langue, sexe). Le Conseil fédéral fonctionne selon le principe de collégialité : une fois qu’une décision a été adoptée, elle est endossée par l’ensemble du collège, même par ses

membres qui, par conviction politique ou personnelle, ne la partagent pas. Les cas de « rupture de la collégialité » sont exceptionnels. Autorité collégiale, le Conseil fédéral est également une autorité polymorphe qui

cumule la direction du pays et la mise en œuvre de sa politique, comme s’il était { la fois chef d’État, premier ministre et gouvernement. Cela implique une lourde charge de travail pour ses sept membres. Certains projets de réforme envisagent donc un gouvernement « à deux étages » avec un Conseil fédéral épaulé par des « ministres délégués », alors que d’autres proposent une augmentation du nombre des conseillers fédéraux.

Le Tribunal fédéral et l’organisation de la justice

La plus haute cour nationale est le Tribunal fédéral (TF), régi par les art. 188 à 191

CF. Ses membres sont élus par l’Assemblée fédérale, mais la procédure est laissée { la loi. L’article 188, al. 4 CF rappelle que les langues officielles doivent y être représentées, mais comme la cour se compose de 39 juges pour 26 cantons, il est

facile d’assurer une répartition équitable entre toutes les régions du pays. De même,

son siège est à Lausanne, ce qui permet également de symboliser son indépendance du Parlement et du gouvernement. Le Tribunal fédéral des assurances se trouve à Lucerne. Il est spécialisé dans les contentieux relatifs aux assurances sociales (notamment accident, invalidité ou vieillesse).

L’art. 189 CF est un catalogue des compétences du TF, dont les décisions sont définitives en Suisse, sous réserve d’un recours individuel { la Cour européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg pour cause de violation de droits garantis par la Convention européenne des Droits de l’Homme. Pourtant, l’élément caractéristique de l’organisation judiciaire suisse réside dans le fait que, { l’exception du TF et de quelques commissions fédérales de recours,

presque toutes les autorités judiciaires procèdent du droit cantonal. Ce fédéralisme

judiciaire très prononcé explique, par exemple, qu’il y ait dans le pays 29 codes de

procédure pénale.

Dans ce contexte, le Tribunal fédéral joue un double rôle. Premièrement, il est le gardien du droit fédéral. Il le fait respecter et veille à son application uniforme. Les voies de recours lui permettant de remplir cette fonction varient selon les domaines du droit : recours en réforme, pourvoi en nullité ou recours de droit administratif. Deuxièmement, il est le gardien de la Constitution fédérale et des constitutions cantonales. Le moyen de droit qui lui permet de jouer ce rôle est le recours de droit

public { l’égard des actes étatiques cantonaux, actes normatifs ou décisions.

Mais une caractéristique du système est que la juridiction constitutionnelle est incomplète puisque ni le Tribunal fédéral ni aucune autorité ne peuvent revoir la constitutionnalité des lois fédérales et des traités internationaux ratifiés par la Suisse (art. 191 CF). Pour ce qui est des lois fédérales, cette spécificité trouve son origine dans le fait que l'assemblée constituante de 1874 a fait prévaloir la

séparation des pouvoirs et la démocratie directe sur l’idée d’un contrôle

juridictionnel complet des normes. Cela signifie que ni le Tribunal fédéral ni aucune

autre autorité ne peuvent revoir la constitutionnalité d’une loi fédérale. Pour ce qui concerne le droit international, elle est due { la volonté d’assurer la crédibilité internationale du pays. Mais ce principe tend { s’atténuer, dans la mesure où l’immunité des lois fédérales peut être partiellement levée par l’interprétation

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restrictive de l’art. 191 par le Tribunal fédéralou par l'assemblée constituante

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elle-même. Concrètement, la longueur du processus de législation et la procédure de consultation font que les lois peuvent difficilement contenir un élément

d’inconstitutionnalité sans que cela soit détecté.

Moins de trois mois après son entrée en vigueur, la nouvelle Constitution a fait l’objet d’une réforme de la justice, acceptée par un vote populaire le 12 mars 2000. Son but est de réduire la surcharge du Tribunal fédéral tout en améliorant la sécurité juridique des particuliers. Elle doit décharger le Conseil fédéral de ses compétences juridictionnelles et permettre l’unification des procédures civiles et pénales. Cette réforme n’est pas encore entièrement en vigueur, dans la mesure où elle doit être concrétisée par plusieurs lois qui n’ont pas toutes été adoptées. Un projet de révision totale de l’organisation judiciaire fédérale prévoit cependant une décentralisation de la justice. Une juridiction administrative de première instance, dont le siège est à Saint-Gall, doit remplacer quelque 30 commissions de recours. Parallèlement, une cour pénale fédérale de première instance doit être installée à Bellinzona (Tessin).

Les institutions des cantons

Les cantons n’ont pas de structure fédérale et leurs Parlements sont monocaméraux.

Les ancestrales Landsgemeinden, assemblées populaires qui regroupent une fois par an sur la place publique tous les citoyens d’un canton, sont en train de disparaître. Aux yeux de certains observateurs, ces Landsgemeinden « plutôt qu’un Bill of rights

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ou une charte des droits » ont été le « symbole même de la liberté en Suisse ». Les pressions du monde moderne et de l’économie se sont associées au fait qu’en public, les citoyens défendant des positions minoritaires n’osent pas toujours s’exprimer,

pour éroder cette institution séculaire. Il y a quelques années, il y a en avait encore cinq, mais il n’en reste plus que deux, { Glaris et Appenzell Rhodes-Intérieures. Elles sont cependant plutôt l’expression visible du suffrage universel, car même dans ces

cantons il existe un Parlement. Les institutions des cantons sont proches de celles qui existent au niveau fédéral, la principale différence étant que tous les gouvernements cantonaux (les membres de l'exécutif) sont élus par le peuple. Et si le nombre de membres des gouvernements et des Parlements est fort variable, tous les cantons pratiquent également le haut

degré de proportionnalité qui est d’usage au niveau fédéral. Aucun parti politique ne

saurait conserver tout le pouvoir entre ses mains, et les gouvernements collégiaux donnent assez de représentation aux minorités. En Valais, par exemple, la Constitution cantonale prévoit que les membres du gouvernement cantonal sont élus de manière à tenir compte des trois régions du canton. De son côté, le canton de Berne garantit un siège au gouvernement cantonal à la minorité francophone du Jura bernois.

Les relations entre cantons

Les mécanismes de préventions des conflits de compétence reflètent toute la complexité de la diplomatie intercantonale. Du point de vue politique, deux éléments contradictoires marquent les relations entre cantons : d’un côté, les exigences fédérales, voire européennes, postulent une coopération accrue ; de l’autre, les cantons souhaitent préserver leur « souveraineté ». Toute tentative d’uniformisation demeure délicate, car elle est immédiatement considérée comme une menace pour le fédéralisme, d’autant plus que le siècle dernier a vu de nombreuses compétences cantonales passer à la Confédération. Mais, comme il est difficile de maintenir le statu quo, notamment en raison de la globalisation de l’économie et de la mobilité croissante des citoyens, il faut plus d’harmonisation. Celle-ci est mise en place par les cantons eux-mêmes, mais aussi par la Confédération. Ainsi, les conflits entre cantons sont-ils résolus par le Tribunal fédéral ; mais ils demeurent rares. Les cantons concluent de plus en plus de concordats dans des domaines dans lesquels ils sont interdépendants et institutionnalisent leur coopération, parfois

avec l’aide de la Confédération. La Constitution est libérale en la matière, notamment parce que l’art. 48 CF autorise très largement les traités intercantonaux, au point que le projet sur la réforme de la péréquation financière (RPT) envisage la possibilité de leur conférer, dans certaines circonstances, la force obligatoire générale. Un exemple intéressant, en raison de son importance et de sa complexité, touche la politique universitaire, dans laquelle une structure triangulaire a été mise en place. L'objectif était de doter la Confédération, les cantons et les hautes écoles universitaires, dans ce domaine de compétences partagées, d'un organe commun investi de réelles compétences de décision. La nouvelle loi fédérale sur l'aide aux universités a donc délégué ces compétences à la Conférence universitaire suisse (CUS). Les cantons universitaires ont ensuite dû mettre sur pied un concordat

comportant une norme parallèle de délégation, et c’est enfin une convention

administrative qui organise l'organe commun et règle les détails d'application. La Confédération elle aussi travaille { l’harmonisation, notamment par la création de l’espace économique unique actuellement postulé par l’art. 95, al. 2 CF. Certes, cette notion remonte { 1848, mais jusqu’{ présent sa réalisation a été limitée de facto, dans certains secteurs, par la viscosité de la main d’œuvre. À l’heure de la globalisation, l’Union européenne a contribué { l’accélération du processus, en imposant la libre circulation des personnes, des biens et des services, ce qui

représente un défi pour le fédéralisme suisse, entre autres parce qu’elle implique la

reconnaissance mutuelle des titres et certificats.

Les communes

La Suisse est une fédération à trois niveaux : Confédération, cantons et communes. Ces dernières sont les « cellules de base » de la collectivité, et leur importance se mesure notamment au fait que la nationalité repose sur l’octroi du droit de cité communal (art. 37, al. 1 CF), parce que l’obtention de la citoyenneté suisse exige en tout premier la citoyenneté d’une commune suisse (il n’y a pas de double

citoyenneté cantonale et nationale). À ce propos, une récente controverse touche le processus de naturalisation. Certaines communes y procèdent par voie de vote

populaire { bulletin secret, ce qui a souvent conduit au refus d’accorder la nationalité suisse aux ressortissants de certains pays de l’Est. Saisi d’un recours

visant une commune du canton de Lucerne, le Tribunal fédéral a décidé le 9 juillet

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2003 qu’une telle procédure n’était plus acceptable. Cet arrêt a été mal perçu par certains hommes politiques et par quelques experts, pour lesquels il est

inconcevable de priver le peuple de l’exercice d’un droit démocratique. La Constitution n’a jamais consacré beaucoup de dispositions aux communes. Celle

de 1874 les mentionnait quatre fois et celle de 1999, cinq fois. Cela est dû au fait que de nombreux constituants ont toujours estimé que, comme le statut des communes relevait du droit cantonal, les interlocuteurs privilégiés de la Confédération

restaient les cantons. Jusqu’en 1999, l’autonomie communale n’était ainsi pas

garantie par la Constitution, mais par la jurisprudence du Tribunal fédéral.

Désormais, une section est consacrée aux communes, bien qu’elle ne comprenne qu’un seul article, l’art. 50, dont le premier alinéa dispose que l’autonomie

communale est garantie dans les limites fixées par le droit cantonal. Cela implique

que le statut des communes varie d’un canton { l’autre. Par ailleurs, la Confédération

doit tenir compte des conséquences de ses activités sur les communes, mais aussi de la situation spéciale des villes, des agglomérations et des régions de montagne (al. 3).

IV. Souveraineté populaire et démocratie directe

Comme ses devancières, la Constitution de 1999 attache de l’importance aux droits du peuple, notamment quand elle proclame que leur protection constitue l’un des

buts de la Confédération (art. 2). Dans le titre 4, la Constitution définit la composition du corps électoral fédéral puis en énumère les prérogatives, à savoir le

droit de prendre part { l’élection du Conseil national et aux votes fédéraux, et le

droit de lancer et de signer des initiatives populaires et des demandes de référendum, droits qui sont ensuite présentés en détail. La Constitution rend ainsi hommage à la souveraineté populaire. Cela ne signifie cependant pas que le peuple puisse décider de tout. En fait, ce qui caractérise le mieux le sens véritable de la

souveraineté populaire instaurée par l’ordre constitutionnel, c’est l’autonomie qui

est confiée au peuple, parce que, dans le cadre qui lui est proposé par la Constitution, il a la possibilité de s’exprimer seul, indépendamment de tout autre organe de l’État.

Aperçu historique

Au cours des années 1830, les cantons dits « régénérés » avaient adopté des constitutions libérales qui concrétisaient le principe représentatif pur. Le peuple ne pouvait influencer les affaires de l’État que lors des élections législatives périodiques, et grâce au droit de pétition qui avait alors encore une certaine importance. Dans ces cantons où les libéraux détenaient la majorité au Parlement, il y eut une activité législative intense visant { réformer l’État selon les principes rationalistes du droit naturel. Mais ces réformes ont souvent été imposées de

manière doctrinaire, sans tenir compte de l’opposition formée par les milieux

catholiques, les conservateurs protestants, mais aussi les paysans et les artisans. Pour eux, le rythme imposé par les libéraux était trop rapide. Ces cercles plutôt conservateurs ont rapidement compris que les élections périodiques étaient insuffisantes pour influencer durablement la politique gouvernementale dans l’esprit de la « volonté générale ». Quelques théoriciens ont alors démontré que le système représentatif apprécié des libéraux était en fait contraire au principe de souveraineté populaire ancré dans la Constitution et que, au surplus, il rendait possible la formation d’une nouvelle aristocratie, fût-elle moins médiocre que la précédente. Le système représentatif a

dès lors été déconsidéré aux yeux d’une partie de la population, qui l’a vu comme un

ersatz des anciennes oligarchies. De plus, la majorité des constitutions régénérées contenait des clauses qui interdisaient toute révision pendant une durée parfois

assez longue, de sorte que la voie de la modification constitutionnelle n’était pas non

plus adéquate pour coordonner la volonté du peuple et la politique

gouvernementale. Il s’en est suivi quelques émeutes, parfois même de nature

révolutionnaire.Certains cantons ont essayé de trouver une voie de droit plus civilisée, par exemple

avec l’introduction d’un veto qui devait permettre aux citoyens d’entraver l’entrée en vigueur des lois qui leur déplaisaient. Mais son utilisation s’est révélée trop

compliquée pour être efficace. Jusque dans les années 1860, le principe représentatif resta largement majoritaire. C’est { ce moment que les démocrates réussirent à dénoncer la souveraineté parlementaire des libéraux et à renforcer la

position du peuple dans le processus législatif, par l’introduction de l’initiative et du

référendum législatifs.

Concepts

La démocratie directe désigne un régime politique dans lequel les autorités ne sont pas seulement élues par les citoyens, mais également subordonnées à leurs décisions. Pour ce faire, elle ajoute à l'élection, caractéristique classique du système représentatif, le vote populaire, qui permet au peuple de se prononcer sur un point précis.

La démocratie directe en Suisse, cumulant élections et vote populaire, établit un dialogue entre les députés et le peuple. Celui-ci manifeste la volonté dominante ; il doit être consulté et tranche souverainement, d'où le titre qui lui est décerné : « le peuple souverain ». Mais les Parlements et les gouvernements, fédéral ou cantonaux, interviennent au début et à la fin de la procédure, édictant les textes qui seront soumis au référendum, proposant éventuellement des contre-projets, exécutant en tous les cas les résultats du scrutin. Ce dialogue existe même dans les deux cantons qui ont conservé la séculaire Landsgemeinde.

Les institutions qui permettent son exercice sont au nombre de deux : l'initiative et le référendum populaires. La première s'exerce au début de la procédure législative, et le second à la fin de celle-ci. Le droit fédéral garantit dans une certaine mesure leur exercice (art. 138 à 142 CF), mais il faut souligner que le droit cantonal le garantit d’une manière plus large.

L’initiative populaire

Elle se définit comme le droit, reconnu à un nombre déterminé de personnes, de soumettre une proposition constitutionnelle au corps électoral (au niveau fédéral, les propositions de niveau subconstitutionnel n’étaient pas admises jusqu’en 2003) ; par extension, le terme désigne aussi l'objet de la proposition, autrement dit le texte destiné à être approuvé. La possibilité d'initier une révision totale de la Constitution par le biais d'une initiative populaire est une exigence posée par la Constitution fédérale (art. 139 CF pour la Confédération et 51, al. 1 pour les cantons). Au niveau

fédéral, il n'a pas existé d’autre initiative avant l’introduction en 2003 de l’initiative

dite générale. Mais sans y avoir été contraints, tous les cantons ont introduit, entre

autres, l'initiative législative et l'initiative constitutionnelle cantonale. Les aspects procéduraux sont complexes et variés. Une initiative doit être munie d'un certain nombre de signatures, recueillies par un comité d'initiative, également habilité à la retirer. Ce nombre varie selon les cantons, non seulement en valeur absolue (de 1 à 15 000 signatures selon les cantons et 100 000 pour la Confédération, art. 139, al. 1 CF), mais également en pourcentage du nombre d'électeurs (de 0,007 % à 4,6 %). L'initiative partielle porte sur un objet que la Constitution définit de manière plus ou moins large. Elle peut être « conçue en termes généraux » ou « rédigée de toutes pièces » (art. 139, al. 2 CF, ce qui n’est pas possible pour la révision totale), ce qui induit deux procédures différentes. Dans tous les cas cependant, sa validité est subordonnée à certaines conditions formelles et matérielles (notamment unité de forme et de matière). Elle est enfin soumise à un scrutin dont les modalités varient en fonction de la présence ou non d'un contreprojet. Pour être acceptée, une initiative constitutionnelle doit obtenir la double majorité des électeurs et des cantons.

Le référendum populaire

Le référendum est le droit conféré aux citoyens de se prononcer sur un objet déjà adopté par un organe élu, généralement le Parlement, et qui n'est pas parfait s'il n'a pas été assujetti au contrôle populaire. Un référendum fédéral doit obtenir la double majorité des voix du peuple et des cantons. Du point de vue de la procédure, il peut s'exercer d'office (référendum obligatoire) ou à la demande d'un certain nombre de citoyens (référendum facultatif).

Le référendum obligatoire existe dans tous les cantons, parce qu'il est prescrit par l’art. 51, al. 1 CF : l'adoption de la Constitution fédérale ou des constitutions cantonales, de même que toutes leurs modifications, sont soumises à la sanction du peuple, quelle que soit la procédure qui a conduit à la modification constitutionnelle. En revanche, les cantons élargissent ou rétrécissent le domaine du référendum constitutionnel en donnant un contenu plus ou moins précis à leurs lois

fondamentales. Le référendum obligatoire en matière de lois n’existe pas au niveau

fédéral, mais il subsiste dans quelques cantons où les citoyens actifs forment donc, en concours avec l'autorité législative qu'ils élisent, le législateur ordinaire. De plus en plus souvent, le référendum législatif obligatoire est remplacé par le référendum facultatif, en raison notamment de la baisse du taux de participation aux scrutins. En revanche, certains cantons utilisent le référendum obligatoire pour les domaines liés aux finances publiques (les impôts, les dépenses et les emprunts).

Le référendum facultatif existe au niveau fédéral mais n'est pas imposé aux cantons. Tous l'ont cependant institué, allant au-delà des exigences fédérales. Le vote populaire est demandé par une fraction du corps électoral (50 000 signatures pour la Confédération, art. 141, al. 1 CF) ; c'est là sa ressemblance avec l'initiative. Après avoir été adopté par le Parlement, l'acte soumis au référendum facultatif est publié dans le Journal officiel avec mention de la date d'échéance pour le dépôt d'une demande de référendum, ainsi que de la durée pour la récolte des signatures (qui

varie de 30 jours { 3 mois). Il est entendu qu’en principe l’acte ne saurait être mis en

vigueur avant la constatation qu'aucune demande de référendum n'a été présentée ou, si ce devait être le cas, avant que les électeurs n'aient approuvé le projet. L’art. 165 prévoit une législation d’urgence, qui transforme la nature du référendum : de suspensif, celui-ci devient abrogatoire. Par ailleurs, au contraire de nombreux États américains qui au début du XXe siècle ont introduit des procédures de révocation des

autorités inspirées de l’initiative et du référendum utilisés en Suisse, seuls quelques cantons connaissent une telle procédure, et encore ne l’ont-ils jamais utilisée.

Utilité et nécessité

Le premier mérite de la démocratie directe est de conférer au plus grand nombre

une parcelle de responsabilité publique. Mais elle en a d’autres. D’abord, elle est { la

source de l'une des caractéristiques du pays : les gouvernements collégiaux. L’existence de la démocratie directe incite les politiciens à trouver des solutions aussi raisonnables que possible pour échapper aux risques de votes populaires. De

l{ découle l’indispensable recherche du consensus. Ainsi, avant l’introduction du référendum populaire en 1874, le Conseil fédéral était formé de représentants d’un seul parti. Par la suite, il a dû incorporer des représentants d’autres partis pour

élargir la base de sa légitimité. En outre, la démocratie directe est un moteur de la vie politique. Bien que les initiatives soient rarement acceptées, leur lancement et les discussions qu’elles suscitent font avancer le débat. Un exemple révélateur est celui de l'initiative sur la

suppression de l'armée en 1989. Elle a été rejetée, mais son retentissement a incité le gouvernement à lancer une vaste réforme de l'armée en 1995. Enfin, dans un pays aussi diversifié que la Suisse, la multiplication de scrutins qui

concernent des objets dépourvus de rattachement à des critères relevant des clivages traditionnels permet souvent d'éparpiller les divisions au lieu de les juxtaposer. Les votes sont si fréquents (pratiquement tous les trois mois) et

concernent des objets tellement variés (il peut s’agir des limitations de vitesse sur les autoroutes, de l’achat d’avions par l’armée, de l’importation des vins, de la protection des marais, de l’augmentation ou de la réduction des impôts, des

centrales nucléaires ou des peines réservées aux délinquants sexuels) que les partisans et les adversaires de ces projets se rencontrent plutôt en fonction de la

classe sociale, de l’âge, du sexe et d'autres considérations sociodémographiques que

selon les lignes de discordes habituelles opposant les catholiques aux protestants ou les francophones aux germanophones. Seuls quelques rares objets correspondent aux clivages ethniques ou religieux — l’intégration européenne, par exemple, est généralement appuyée davantage par les Romands que par les Alémaniques, et

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même sur cette question les divergences tendent { s’amenuiser. La démocratie directe a cependant quelques inconvénients. À vouloir tenir compte de l'avis de toutes les parties pour ne pas risquer un référendum, le processus législatif devient extrêmement lent. Par ailleurs, la fréquence des scrutins jointe au fait que leurs objets sont parfois peu contestés, peu intéressants ou peu compréhensibles, peut entraîner une baisse de la participation, qui tourne autour de 40 %. Une minorité de la population suisse décide donc souvent des enjeux. Certains votes très techniques marquent les limites de la démocratie. Enfin, il faut avouer que, pratiquement, seuls les lobbies, partis politiques et groupes de pression importants peuvent disposer des instruments du marketing politique qui permettent de lancer (et surtout de faire aboutir) une initiative ou un référendum, ce qui enlève à la démocratie directe un peu de sa proximité du citoyen.

V. La protection des droits fondamentaux

Les droits fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par le droit positif suisse se

trouvent essentiellement dans la Constitution fédérale, les constitutions cantonales,

la Convention européenne des Droits de l’homme et les pactes de l’ONU, ainsi que

dans une série de conventions internationales spécifiques, sans oublier la jurisprudence constitutionnelle qui en définit la portée et les limites.

La protection des droits individuels s’opère sur le modèle américain. Mais avant

1999, la situation était quelque peu imprécise, parce que plusieurs de ces droits avaient été consacrés et développés uniquement par le Tribunal fédéral, souvent sur la base de l’art. 4a CF de la Constitution de 1874 consacré { l’égalité des citoyens devant la loi. Désormais, la nouvelle Constitution contient un Bill of Rights détaillé (art. 7 à 34). Mais elle ne contient aucune typologie de ces droits : comme pour les compétences, c’est la doctrine qui a tenté de le faire. Le catalogue s’ouvre avec le principe de la dignité humaine (art. 7 CF), qui est en quelque sorte le socle sur lequel repose tout le système. On distingue ensuite la catégorie des libertés, celle des garanties de l’État de droit et celle des droits sociaux, auxquelles on peut ajouter celle des droits politiques. Au nombre des libertés figurent notamment la liberté de conscience et de croyance,

d’opinion et d’information, des médias, de la langue, de la science, de l’art, de réunion, d’association, d’établissement, mais aussi la liberté économique et syndicale. Leur protection n’est en principe pas absolue, quoique leur restriction

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soit soumise aux conditions sévères de l’art. 36 CF. Parmi les garanties de l’État de droit, on trouve le droit { l’égalité et { la protection contre l’arbitraire, les garanties de procédure et le droit de pétition.Quant aux droits sociaux, tels que les art. 12 CF (droit d’obtenir de l’aide dans des

situations de détresse) et 19 (droit à un enseignement de base), ils doivent être clairement distingués des buts sociaux, énumérés dans un art. 41 CF qui fait l’objet d’un chapitre spécifique. Cette disposition prévoit entre autres que toute personne

bénéficie de la sécurité sociale ou des soins nécessaires à sa santé, mais son

quatrième alinéa en restreint la portée puisqu’il dispose qu’aucun droit subjectif { des prestations de l’État ne saurait être déduit de ces buts sociaux. En ce qui concerne les droits politiques, l’art. 34 ne les accorde pas directement puisque leur source se trouve dans le droit constitutionnel cantonal et { l’art. 136 CF, mais il garantit que les droits politiques, l{ où ils existent, puissent s’exercer de

manière libre et régulière. En vertu de l’art. 35 CF, les droits fondamentaux doivent être réalisés dans l’ensemble de l’ordre juridique. La doctrine admet cependant qu’ils n’ont en principe pas d’effet horizontal direct, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas être invoqués directement entre les particuliers, sous réserve de l’art. 8, al. 3, phrase 3 CF relatif { l’égalité de salaire entre hommes et femmes. Les droits fondamentaux en

tant que tels ne protègent pas les individus contre des violations qui seraient

commises par d’autres individus.L’application de ces droits est confiée à des instruments procéduraux appropriés,tant au niveau cantonal qu’au niveau fédéral (art. 35 CF).La Constitution ne garantit que peu de droits positifs ; l’art. 19 CF sur le droit { un enseignement de base est justiciable, de même que l’art 28, al. 3 CF relatif au droit de grève. Quant aux droits collectifs, ils n’appartiennent pas { la tradition

helvétique. Preuve en est la difficulté avec laquelle le droit de grève a été inscrit dans la Constitution de 1999. Les constitutions des cantons contiennent également des Bills of Rights, mais les

garanties cantonales des droits fondamentaux n’ont pas de portée juridique propre

par rapport aux garanties fédérales correspondantes. Les droits cantonaux ont essentiellement une fonction didactique qui, dans le passé, a souvent servi de

moteur pour l’enrichissement des droits fondamentaux au niveau fédéral.

Traditionnellement, les principales nouveautés du droit constitutionnel fédéral ont d’abord été introduites et expérimentées dans les cantons. Cela vaut non seulement pour les droits fondamentaux, mais aussi pour les droits politiques, la démocratie

directe, l’organisation du gouvernement et du Parlement et la juridiction

administrative. De la sorte, les cantons ont joué le rôle de ce que le juge fédéral

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américain Louis Brandeis a appelé des « laboratoires de la démocratie » . Mais il n’est pas contesté que les garanties cantonales puissent aller au-delà de la protection des droits qui découle de la Constitution fédérale. Certains cantons ont ainsi ajouté le droit à la publicité des actes administratifs ou la non-rétroactivité des lois. À Berne, les droits constitutionnels sont qualifiés d’« intangibles », ce qui est une spécificité cantonale. Par ailleurs, les droits reconnus par la Convention

européenne des Droits de l’homme, ratifiée par la Suisse le 28 novembre 1974, sont considérés en droit suisse comme des droits constitutionnels au sens de l’art. 189,

al.1, lit. a, ce que le Tribunal fédéral avait admis très tôt pour des raisons de procédure. Enfin, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 est entré en vigueur le 18 septembre 1992 en Suisse.

VI. Impôts et finances

Imposition

Le pouvoir fiscal est réparti entre la Confédération, les cantons et les communes, chacun de ces niveaux ayant un accès direct à plusieurs sources de revenus (coordination verticale). La répartition des compétences fiscales et des rendements

des impôts entre des juridictions du même niveau, lorsque l’assiette fiscale recouvre

plusieurs juridictions (coordination horizontale), est effectuée sur réclamation par

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le Tribunal fédéral. La seule disposition de la Constitution qui se rapporte à la

coordination horizontale est l’interdiction de la double imposition par les cantons

(art. 127, al. 3 CF). En principe, les impôts directs sont réservés aux cantons et les impôts indirects, à la Confédération. Celle-ci peut cependant percevoir des impôts directs (impôt fédéral direct, IFD) sur les revenus des personnes physiques, le bénéfice net, le capital et les réserves des personnes morales, pour une durée limitée, mais régulièrement

prorogée (actuellement jusqu’{ la fin de 2006, art. 196 ch. 13 CF). Les taux

maximaux sont fixés par la Constitution (art. 128 CF). La taxation et la perception de ces impôts sont effectuées par les cantons, qui récupèrent 3/10 du produit brut de

l’IFD sous forme de parts aux recettes. C’est la Confédération qui fixe les principes de l’harmonisation des impôts directs des cantons, mais les barèmes, les taux et les montants exonérés ne font pas partie de l’harmonisation fiscale (art. 129 CF).

L'harmonisation fiscale est donc un concept défini par la Constitution fédérale, mais

mis en œuvre par les lois fédérales et cantonales.

Les impôts indirects (art. 130 à 133 CF) sont une compétence exclusive de la Confédération. Elle peut percevoir une taxe sur la valeur ajoutée, des impôts à la consommation spéciaux, des droits de timbre et un impôt anticipé sur les revenus des capitaux mobiliers, sur les gains de loterie et sur les prestations d’assurance. Les droits de douane lui sont exclusivement attribués.

La pleine souveraineté fiscale des cantons n’est limitée que par la jurisprudence du

Tribunal fédéral et les quelques normes constitutionnelles mentionnées ci-dessus. Néanmoins, des efforts considérables sont désormais entrepris à tous les niveaux

pour promouvoir l’harmonisation formelle, mais aussi matérielle. L’exercice est délicat : un train de mesures allant dans ce sens, adopté en juin 2003, a fait l’objet du premier référendum cantonal de l’histoire du pays, demandé par onze cantons alors que huit auraient suffi. La série de mesures fiscales a finalement été rejetée par 60 pour cent des électeurs en mai 2004.

Emprunts

La Constitution ne contient aucune disposition à ce sujet. Cependant, tant le gouvernement fédéral que les gouvernements cantonaux ont la capacité

d’emprunter, bien que l’emprunt auprès de la banque centrale soit interdit par la loi sur la Banque nationale (LBN). À l’heure actuelle, la Constitution n’oblige pas le gouvernement fédéral { présenter chaque année un budget équilibré. Mais l’art. 126

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prévoit que la Confédération doit équilibrer à terme ses dépenses et ses recettes. La Constitution fédérale n’impose aucune limite { cet égard (limite d’emprunt, équilibre budgétaire) aux autorités cantonales. Toutefois, certains cantons (notamment Berne, Fribourg et Vaud) se sont dotés de dispositions constitutionnelles qui exigent que le budget de fonctionnement soit en équilibre, tandis que des déficits du budget d’investissement peuvent être financés par des emprunts.

Répartition des revenus et dépenses

En l'an 2001 (dernière statistique connue), l'impôt sur le revenu et la fortune prélevé par les cantons et les communes a produit 40,4 milliards USD, et l'impôt fédéral direct 9,8 milliards USD dont 2,9 milliards USD ont été redistribués aux

cantons. En effet, les produits de l’IFD, des impôts sur la consommation spéciaux et de l’impôt anticipé sont partiellement répartis entre les cantons afin de leur garantir une source de revenus supplémentaire. Pour la plupart des impôts, la répartition est effectuée en fonction de la capacité financière des cantons, parce que la Confédération encourage la péréquation financière (art. 135, al. 1 CF).

Les cantons peuvent également compter sur une participation aux deux tiers des bénéfices de la Banque nationale (BN, art. 99, al. 4), répartie en fonction de la

population et de la capacité financière de chaque canton. La vente récente d’une partie des réserves d’or de la Banque a généré un substantiel bénéfice, dont l’attribution a provoqué d’âpres discussions. Sous réserve du frein { l’endettement de l’art. 126 CF et de l’art. 130, al. 2 qui impose d’affecter 5 % de la TVA aux classes inférieures de revenu, la Constitution ne fixe que peu de limites à la liberté des entités fédérales, cantonales ou locales de dépenser leurs revenus.

VII. Affaires étrangères et défense

Affaires étrangères

La Constitution de 1999 est plus explicite { ce propos que ne l’était sa devancière. L’art. 54, al. 1 CF précise que les affaires étrangères appartiennent { la

Confédération, alors que celle de 1874 ne le mentionnait pas, quand bien même telle était la réalité. La Constitution présente, dans ses articles 184 et 185, les compétences du Conseil fédéral en matière de relations extérieures et de sécurité intérieure et extérieure. Elle ne parle cependant pas de la neutralité, notion complexe du droit international public et de la politique, qui désigne la non-participation d'un État aux guerres entre d'autres États. Elle est étroitement liée à l'histoire de la Confédération, dont elle a marqué la destinée pendant des siècles. En effet, depuis la défaite de la Suisse aux mains de la France à Marignan en 1515, la non-ingérence dans les affaires d'autrui a été la position en matière de politique étrangère et de sécurité qui a permis aux cantons suisses de préserver leur indépendance face aux grandes puissances européennes antagonistes. Mais la neutralité était aussi un impératif de politique intérieure dans une confédération d'États de confessions différentes et aux intérêts divergents. Au fil des siècles, elle est devenue partie intégrante de l'ordre juridique et politique, avant d’être reconnue en 1815 par les grandes puissances d'alors comme « dans les vrais intérêts de la politique de l'Europe entière ». Ultérieurement, c'est notamment grâce à la neutralité permanente que la Suisse a pu résister aux tempêtes du XIXe et même aux ouragans qu'ont été les deux Guerres mondiales. Cela a sans doute conduit à ce que la neutralité soit si profondément ancrée dans la conscience de bien

des Suisses. Elle n’a cependant jamais été inscrite comme un but constitutionnel.

Mais il existe, depuis 1977, un référendum obligatoire sur les traités internationaux prévoyant l’adhésion { des organisations de sécurité collective ou { des communautés supranationales (art. 140, al. 1, lit. b CF), de sorte que la neutralité est

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ainsi inscrite indirectement dans la Constitution. La Constitution contient plusieurs références { l’ouverture de la Suisse sur le monde (Préambule ; art. 2, al. 4 ; 54, al. 2 CF). Elle est membre de l’ONU et de ses organisations spécialisées, du Conseil de l’Europe, de l’Association européenne de libre-échange (AELE), de la Francophonie et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Elle est même partenaire de l’Union européenne par la signature

des accords bilatéraux, qui avaient été précédés dès 1972 par un traité de libreéchange avec ce qui était alors la Communauté économique européenne (CEE). En

revanche, la Constitution garde le silence sur les relations de la Suisse avec l’Europe,

qui ne sont guère facilitées par le référendum sur les nouveaux traités supranationaux ou traitants de sécurité collective : l'adhésion à l'Union européenne devra être approuvée par un vote populaire à la double majorité du peuple et des cantons, ce qui rend le sujet politiquement délicat. Les cantons ont développé depuis longtemps un vaste réseau de relations transfrontalières, et leur esprit d’ouverture est consacré par la Constitution : l’art. 55 CF traite de leur participation aux décisions de politique extérieure, cette dernière sous-entendant surtout les questions européennes, et l’art. 56 de leurs relations avec des États étrangers. Du point de vue du fédéralisme, le développement des institutions supranationales a plutôt conduit au renforcement

des cantons, par ce que l’on pourrait appeler une réaction d’anticipation qui peut

être portée au crédit de la CdC. Cette dernière a en effet cherché à s'assurer que les cantons puissent conserver leurs compétences face aux contestations auxquelles les traités futurs et les obligations supranationales donneront probablement lieu. Les affaires étrangères étant par nature le « fait du Prince », elles sont un terrain idéal où le fait de s’assurer quelques compétences supplémentaires est de nature { réaffirmer la souveraineté cantonale telle qu’elle est exprimée { l’art. 3 CF.

Défense

La Constitution de 1848 a notamment permis de créer une armée fédérale composée de troupes cantonales, que celle de 1874 a unifiée sans la centraliser

complètement. À l’heure actuelle, la compétence en matière de défense nationale

demeure exclusivement fédérale, avec un résidu de souveraineté militaire cantonale. Les art. 58, al. 3 et 60, al. 1 CF rappellent que la législation militaire,

l’organisation, l’instruction et l’équipement de l’armée, de même que sa mise sur pied, relèvent de la compétence de la Confédération. En revanche, l’art. 60, al. 2 évoque l’existence possible de « formations cantonales », qui sont cependant sur le point de disparaître en raison de la réorganisation complète de l’armée selon le

modèle dit Armée XXI.

L’armée suisse possède une haute valeur intégrative, parce qu’il s’agit essentiellement d’une armée de milice : tous les Suisses sont des citoyens-soldats (art. 58, al. 1 et 59, al. 1 CF). Une professionnalisation est actuellement permise pour quatre catégories de personnes et devrait pouvoir être étendue au maniement d’appareils complexes et coûteux. La législation peut prévoir un service civil de

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remplacement. C’est en 1992 seulement, après l’échec de diverses initiatives parlementaires et populaires, qu’une solution généralement bien reçue a pu être apportée au vieux problème de l’objection de conscience. Une autre évolution récente concerne les tâches de l’armée. Sa mission traditionnelle de défense du pays s’étend aujourd’hui { des missions de maintien de la paix qui pourraient même s’exercer { l’étranger, en fonction de la volonté politique du législateur. En juin

1999, le Conseil fédéral a décidé de participer à la force de maintien de la paix de

l'ONU au Kosovo, par l’entremise d’un corps de 220 volontaires baptisé SWISSCOY.

Parallèlement, en juin 2001, les citoyens ont accepté une modification législative qui autorise l’armement de soldats suisses en service de maintien de la paix { l’étranger.

VIII. La modification de la Constitution La modification constitutionnelle (régie formellement par les art. 192 à 195 CF) est en Suisse un mode classique de gouvernement, voire une expression très aboutie du fédéralisme, tant par son impact politique que par sa procédure. La révision partielle (donc seulement d’une partie, fût-elle minime, de la Constitution) peut être proposée par l’Assemblée fédérale (souvent { la demande du Conseil fédéral qui lui adresse un message) ou par le peuple (art. 194, al. 1 CF) par voie d’initiative populaire. Le texte constitutionnel prévoit une règle simple qui permet de garantir la subsidiarité : toute modification constitutionnelle doit obtenir la double majorité des voix des électeurs et des cantons (art. 140, al. 1, lit. a et 142, al. 2 CF). Les cas où une seule de ces deux majorités a été atteinte sont rares (onze depuis l’origine), mais ont tendance { augmenter. Il n’est pas prévu expressément que certaines dispositions de la Constitution soient intangibles. Seules les normes impératives du droit international général pourraient l’être, en dépit de la difficulté de déterminer le contenu du ius cogens. (cf. art. 193, al. 4 et 194, al. 2 CF). On peut par ailleurs soutenir avec de bons arguments que certains principes structurels fondamentaux seraient de caractère impératif.

Les modifications partielles ont été nombreuses et ne cessent d’augmenter. La Constitution de 1848 a été modifiée une seule fois en 1865, celle de 1874 l’a été environ 155 fois et celle de 1999, six fois déj{ depuis son entrée en vigueur en l’an

2000. Les modifications concernaient 25 articles. À compter des premiers référendums fédéraux en 1866, quelque 510 questions ont été soumises au corps

électoral, la première moitié jusqu’en 1970 et la seconde moitié depuis cette date. La fréquence moyenne des votes a donc quadruplé en une trentaine d’années. En revanche, le taux des acceptations et des rejets n’a pas changé au cours du temps. Par ailleurs, le résultat des scrutins est plus de sept fois sur dix favorable aux autorités.

Les succès de celles-ci ont souvent porté sur des objets importants, comme des impôts nouveaux, la création du canton du Jura ou l’adhésion { l’ONU. Pourtant, comme l’a rappelé le Conseiller fédéral Arnold Koller, « Le peuple suisse ne semble

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pas être marqué par un irrésistible besoin de changement » , de sorte que la Constitution progresse lentement sur la voie de la modernité, avec pragmatisme et méfiance { l’égard des idéologies. Ainsi, si l’on prend en considération les trois constitutions sous le régime desquelles les Suisses ont vécu depuis 1848, le nombre des cantons qui ne les ont pas acceptées n'a cessé de croître. En 1848, les cantons

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rejetants furent au nombre de huit; en 1874, ils furent au nombre de dix et en

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1999 ils furent au nombre de douze. Cela signifie que six cantons sur vingt-six (Uri, Schwyz, Obwald, Nidwald, Appenzell Rhodes-Intérieures et le Valais) n'ont accepté aucune des trois constitutions de la Suisse moderne.

IX. Conclusion Lors de son adoption en 1848, la Constitution suisse transformait une Confédération pluriséculaire en État fédéral, le deuxième des temps modernes après les États-Unis. Elle avait un aspect révolutionnaire, qui s’inscrivait dans un contexte européen où de nombreux mouvements libéraux s’étaient manifestés, pourtant sans connaître de réel succès ailleurs qu’en Suisse. Avec le temps, la révolution s’est assagie. Elle est devenue classicisme, pour ne pas dire conservatisme. Preuve en est la difficulté de modifier radicalement le texte rédigé en 1874 : la constitution de 1999 n’est qu’une « mise à jour » de la précédente. Cela signifie que la Constitution fédérale a très bien intégré les spécificités et les besoins du peuple suisse, tant dans les subtiles institutions qu’elle propose que dans la souplesse de son mode de révision. Faute de nation suisse, la Constitution a su créer une « Willensnation » en insistant sur l’importance de la diversité. Ce faisant, elle a fait du fédéralisme la pierre angulaire sur laquelle la Suisse moderne a pu s’élever et prospérer. En 1935, dans un contexte politique troublé, les électeurs ont rejeté à 72,7 % la seule initiative populaire jamais déposée tendant à la révision totale de la Constitution, qui avait été lancée par des milieux ultraconservateurs inspirés par la montée du nationalisme dans le reste de l’Europe. Son net rejet a montré { quel point les Suisses étaient attachés { l’ordre démocratique et libéral instauré par la Constitution de 1874. Mais les quelque 155 modifications partielles de la Constitution depuis 1848 et tous les changements qu’elles impliquent rappellent que le fédéralisme suisse est un système en perpétuel mouvement. À l’aube du XXe siècle, il doit relever de nouveaux défis. Ainsi en est-il des relations avec l’Union européenne. Celle-ci acceptera-t-elle encore longtemps de négocier des accords bilatéraux de plus en plus complexes avec un

petit pays, situé il est vrai au cœur de l’Europe et riche d’une expérience fédéraliste

séculaire ? Les Suisses restent très sensibles sur cette question. Le pays ayant subi

moins que d’autres les destructions des Guerres Mondiales, certains citoyens ne perçoivent sans doute pas suffisamment l’importance de la construction européenne et jugent qu’une certaine insularité de la Suisse au cœur de l’Union

européenne pourrait être un avantage, notamment économique. Mais il ne faut pas se cacher que des réformes substantielles des institutions politiques seront nécessaires en cas d’adhésion { l’Union européenne. Les cantons seront inévitablement confrontés au risque d’une limitation de souveraineté, d’une augmentation des tâches d’exécution, d’une diminution de la démocratie parlementaire et a fortiori de la démocratie directe, ainsi que d’un certain affaiblissement de l’autonomie communale. En corollaire, une participation accrue au processus d’intégration européenne conduit { un renforcement de la coopération

confédérale, pour permettre aux cantons et à la Confédération de coopérer plus rapidement sur diverses matières. Les cantons peuvent craindre, en effet, que leur

fonctionnement n’évolue vers un fédéralisme de simple exécution. Trouver des

contrepoids à cette évolution sera une tâche considérable.Par ailleurs, la recherche du consensus est rendue plus difficile par une polarisation

croissante du débat politique, qui se reflète sur la composition de l’Assemblée fédérale. Le centre s’efface au profit des ailes. La recomposition du Conseil fédéral

en décembre 2003, après 44 ans sans le moindre changement, en est une

manifestation concrète. La politique suisse, d’ordinaire si feutrée, se rapprocherait

de celle de ses voisins. Il faut espérer pour ce pays qu’il saura trouver au XXIe siècle des solutions aussi satisfaisantes que celles qu’il avait élaborées au XIXe et qui lui avaient si bien réussi : « L’habitude de s’occuper du gouvernement avait inspiré aux Suisses un sentiment du devoir public et un amour-propre patriotique inconnus des autres peuples… Ce petit pays tient une très grande place dans l’histoire des institutions politiques du

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monde » .

NOTES

1 L’auteur tient { remercier très sincèrement Monsieur Augustin Macheret, professeur de droit public et ancien membre du gouvernement du canton de Fribourg, qui présida la Conférence des gouvernements de Suisse occidentale et

qui l’a aidé { présenter une réalité complexe sous une forme succincte. Ses remerciements s’adressent également au professeur Bernhard Waldmann, responsable du Centre national de l’Institut du fédéralisme, et à Me Adriano Previtali.

2 Denis de Rougemont, La Suisse ou l’histoire d’un peuple heureux (Lausanne :

L’Âge d’Homme, 1990), p. 18.

3 Le romanche est parlé uniquement dans le canton des Grisons (Graubünden/Grigioni/Grischun), seul canton trilingue de Suisse, où il est langue officielle aux côtés de l’allemand et de l’italien. Le romanche est cependant moins une langue qu’un ensemble de cinq dialectes. Les migrations et l’évolution économique ont augmenté le nombre des germanophones dans le canton, de sorte que le romanche subit un recul, accentué par le fait qu’il ne peut pas bénéficier de l’appui culturel d’un grand pays voisin.

4 La reconnaissance de la langue romanche en 1938 reflète à merveille cette unité dans la diversité. Le message proposant cette modification constitutionnelle a été rédigé par le Conseiller fédéral Etter en personne, qui a pris le contre-pied de la rhétorique hitlérienne (« ein Volk, ein Reich, ein Führer ») pour renforcer la protection des diversités dans la Constitution, et par l{ même l’unité nationale. Cet amendement a été accepté à une large majorité, révélatrice des valeurs sur lesquelles repose la Constitution suisse.

5 Les catholiques chrétiens représentent une petite minorité de l’Église catholique qui ne reconnaît pas deux points doctrinaux majeurs concernant l’infaillibilité pontificale, adoptés en 1870 lors du Concile Vatican I.

6 William E. Rappard, Collective Security in Swiss Experience, 12911948 (London: George Allen and Unwin, 1948), p. 4.

7 De leur côté, les cantons d’Argovie, Grisons, St.Gall, Thurgovie, Tessin et Vaud ont rejoint la Confédération en 1803.

8 William Martin, Switzerland: From Roman Times to the Present (New York: Praeger, 1971).

9 James H. Hutson, The Sister Republics: Switzerland and the United States from 1776 to the Present (Washington, DC: Library of Congress, 1991).

10 Voir, p. ex., les essais sur « The Idea of Switzerland », publiés dans Granta 35 (printemps 1991).

11 Cf. également Wolf Linder, Swiss Democracy: Possible Solutions to Conflict in Multicultural Societies (New York: St Martin’s Press, 1994).

12 Cette maxime repose sur le principe de la bonne foi de l’article 5, al. 3 CF.

13 La partie jurassienne du canton de Berne est composée de sept districts. Les trois du sud sont restés dans le giron bernois, les trois du nord ont formé le nouveau canton, et le septième, Laufon, germanophone et plus éloigné, a choisi de quitter le canton de Berne pour rejoindre le canton le plus proche, Bâle-Campagne.

14 Le refus des cantons d’accepter une constitution n’a jamais conduit { des conséquences politiques significatives, parce que les cantons contestataires se sont malgré tout ralliés à la décision de la majorité des électeurs et des cantons.

15 L’initiative générale formule une intention, sans se préoccuper de la manière dont elle peut s'intégrer dans l'ensemble du droit. C’est le Parlement qui décide si l'initiative doit être mise en œuvre au niveau de la Constitution ou de la loi. Ce qui compte c'est que l'intention des initiants soit réalisée. S’ils estiment que le Parlement a trahi le contenu de l'initiative, ils peuvent s'adresser au Tribunal fédéral (TF). Celui-ci n'imposera pas sa solution, mais invitera le Parlement à légiférer dans le respect de l'initiative.

16 En conséquence, l’art. 138 de la Constitution jurassienne de 1977 prévoyant que le nouveau canton pouvait accueillir toute nouvelle partie du canton de Berne légalement séparée de celui-ci, n’a pas reçu la garantie de l’Assemblée fédérale (art. 51, al. 2 CF).

17 Le principe de subsidiarité postule que toute fonction gouvernementale qui peut être exécutée de manière adéquate et suffisante par la collectivité la plus proche du peuple (les communes ou les cantons, p. ex.) le soit par ces collectivités plutôt que par les collectivités supérieures comme le canton ou la Confédération.

18 Un exemple fameux est celui du contentieux fiscal entre les cantons de Vaud et Genève qui n’a pas pu être résolu par une médiation, mais a fait l’objet d’une réclamation de droit public au Tribunal fédéral (art. 83 OJF, ATF 125 I 458).

19 Pour d’autres informations de base, cf également Nicolas Schmitt, Federalism: The Swiss Experience (Pretoria: HSAC Publishers, 1996) ; Oswald Sigg, Switzerland’s Political Institutions (Zurich: Pro Helvetia, Arts Council of Switzerland, 1991) ; Hans Huber, How Switzerland is Governed (Zurich: Schweizer Spiegel Verlag, 1968) ; George Arthur Codding, The Federal Government of Switzerland (Boston: Houghton Mifflin, 1961) et George Sauser-Hall, The Political Institutions of Switzerland (Zurich et New York: Swiss National Tourist Office, 1946).

20 Il est possible, par exemple, que le Tribunal fédéral examine à titre préjudiciel des lois fédérales sur leur conformité avec la Convention européenne des Droits

de l’Homme ; l’interprétation conforme { la Constitution est également réservée.

21 C’est d’ailleurs le cas puisque la RPT a été approuvée.

22 Benjamin R. Barber, The Death of Communal Liberty: A History of Freedom in a Swiss Mountain Canton (Princeton: Princeton University Press, 1974), p. 11.

23 Règlement du Tribunal fédéral : ATF/BGE, 129 I 217.

24 Cf. également Yannis Papadopoulos, « Connecting Minorities to the Swiss Federal System: A Frozen Conception of Representation and the Problem of 'Requisite Variety' », Publius: The Journal of Federalism 32 (été 2002): p. 47 à 65.

25 Toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale, justifiée par un intérêt public et proportionnée au but visé, cependant que

l’essence des droits fondamentaux demeure inviolable.

26 New State Ice Co. v Liebman, 285 US 262, 311 (1932).

27 Cf. note 17.

28 Il s’agit du « frein { l’endettement » qui a été accepté par un vote populaire le 2 décembre 2001, mais doit être concrétisé par la loi.

29 Cf. les art. 173, al. 1, lit. a et 185, al. 1 CF qui font également référence à la

neutralité dans les compétences respectives de l’Assemblée fédérale et du

Conseil fédéral.

30 La loi sur le service civil est sur le point d’être modifiée.

31 En présentant le projet de révision constitutionnelle le 26 juin 1995, dans Le Nouveau Quotidien du 27 juin 1995.

32 Uri, Schwyz, Obwald, Nidwald, Zoug, Appenzell Rhodes Intérieures, Tessin et Valais.

33 De nouveau Uri, Schwyz, Obwald, Nidwald, Zoug, Appenzell Rhodes Intérieures, Tessin et Valais, avec en plus Lucerne et Fribourg.

34 De nouveau Uri, Schwyz, Obwald, Nidwald, Zoug, Appenzell Rhodes Intérieures et Valais, avec en plus Glaris, Schaffhouse, Appenzell Rhodes-Extérieures, Saint-gall, Argovie et Thurgovie.

35 Charles Seignobos, Histoire politique de l’Europe contemporaine, 1814–1914, 7e éd., vol. 1 (Paris : Armand Colin, 1924), p. 323.