Pour redécouvrir l’esprit fédéral
Allocution du premier ministre du Québec à l’occasion du 40e anniversaire de l’ouverture du Centre des Arts de la Confédération
Charlottetown, le 8 novembre 2004
La version lue fait foi.
Distingués invités,
Mesdames, Messieurs,
C’est un très grand plaisir pour moi d’être ici parmi vous afin de souligner le 40e anniversaire de l’ouverture du Centre des arts de la Confédération.
Ce centre a été inauguré en 1964 afin de souligner le 100e anniversaire de la Conférence des pères de la Confédération.
Lorsque j’ai reçu l’invitation du professeur Symons, afin de vous parler du fédéralisme canadien, je ne savais pas que nous aurions eu, dans les jours précédant cette rencontre, deux conférences des premiers ministres.
Le moment est donc bien choisi pour une discussion sur l’état du fédéralisme canadien, ses espérances et ses défis.
On dit que l’histoire est un éternel recommencement. On s’en convainc aisément lorsqu’on se réfère aux sources de nos débats, qui nous ramènent à l’Acte de Québec de 1774.
L’élection de mon gouvernement, en avril 2003, a été accueillie par nombre de Canadiens comme un défi lancé à ceux qui voulaient séparer le Québec du Canada. Mais ce qui n’était peut-être pas aussi manifeste, c’est que l’élection de mon gouvernement constitue également un défi pour ceux qui tentent de maintenir le statu quo au sein de la fédération. L’élection de mon gouvernement est en fait un défi pour ces deux groupes et pour tous ceux qui ont choisi d’ignorer notre histoire commune.
Le Canada est un pays jeune, toujours en construction, toujours à l’état de potentiel.
Nous allons continuer la construction du Canada à la condition de tenir compte des fondations de l’édifice et en respectant ce qui touche les fondements mêmes du Canada.
Dans la première partie de mon discours, j’aimerais que vous vous joigniez à moi pour vous remémorer ce qui a permis la réussite du Canada.
Les Canadiens ont, très tôt dans leur histoire, pris une décision, fait un choix qui, au fil du temps, a fini par définir l’essence même de ce que nous sommes.
Nos ancêtres ont décidé, dès le départ, de fonder un pays sur le principe même du droit de parler une autre langue, de prier différemment, d’appliquer un système juridique autre qui s’inspire du Code civil français, d’appartenir à une culture différente et de permettre à cette culture de s’épanouir. L’Acte de Québec de 1774, adopté il y a plus de 200 ans, soit près d’un siècle avant la Confédération, est sur ce point le document le plus fondamental de l’histoire du Canada. C’est l’assise sur laquelle le partenariat canadien s’est construit à l’origine. L’esprit de cette loi a défini ce pays dès sa création. Il constitue l’une des décisions les plus éclairées qui aient jamais été prises au Canada.
Les Canadiens devraient réfléchir à ce choix qui s’est opéré très tôt dans leur histoire. Nous devrions réfléchir à la manière dont il nous définit, comment la culture et la langue françaises et la présence d’une province francophone au sein de la fédération ont permis à l’ensemble des Canadiens d’étendre leur influence et de jouer un plus grand rôle dans la communauté internationale.
Dans le passé, d’aucuns dans ce pays ont prétendu que la reconnaissance des deux langues officielles et identités culturelles était un obstacle à l’élaboration d’un but commun pour ce pays, une vision commune s’inspirant de valeurs partagées. À court terme, ils ont peut-être cru avoir raison. Mais nous savons aujourd’hui à quel point ils étaient dans l’erreur. Il ne leur a pas effleuré l’esprit que leurs enfants vivraient dans « le meilleur des mondes » de la mondialisation.
Que leurs enfants seraient appelés, s’ils voulaient déployer pleinement leur potentiel dans ce monde du XXIe siècle, à apprendre non pas une, mais plusieurs autres langues, si possible.
Les Canadiens sont par nature sensibles à un monde où la diversité est la norme. Les Canadiens, en raison de leur histoire, ne tiennent pas pour acquis que les autres pensent à leur manière, que les autres voient les choses différemment. Sur ce plan, le Canada est un pays qui s’est mieux préparé que nul autre que je connaisse à faire face aux défis du XXIe siècle. Ne pas reconnaître ce simple fait serait un grand appauvrissement.
Pour les Québécois en particulier, le Canada est une réussite précisément à cause de la place que leur pays a réservée à notre langue, à notre culture, à notre identité, non seulement pour survivre, mais aussi pour s’épanouir et prospérer au point où nos artistes, nos universitaires, nos entrepreneurs sont reconnus et célébrés dans le monde entier.
Si l’on se tourne vers l’avenir, plusieurs tendances importantes se sont affirmées quant à la manière dont le fédéralisme évolue. Entre autres, la tendance à la codécision et à la cogestion entre les paliers de gouvernement fédéral et provincial est déjà un reflet de la maturité du pays qu’est le Canada.
Pour que cela soit possible, il faut néanmoins que chaque palier de gouvernement comprenne bien son rôle, là où son intervention peut être utile et efficace et, en fin de compte, qu’il soit entièrement imputable de ses décisions envers son peuple. En d’autres termes, le respect des compétences de chaque gouvernement est une condition indispensable au succès de ce pays.
Dans un discours que je prononçais en 1999, j’invitais les Canadiens et leurs dirigeants à commencer à se préparer à un gouvernement libéral pour le Québec, pour que nous puissions ensemble bâtir pour le Canada un programme qui soit le reflet de notre histoire, de nos espoirs et de nos aspirations pour l’avenir.
Le message que je leur transmettais était le suivant : Préparez-vous à tenter, rapidement et de manière décisive, de résoudre les problèmes qui perdurent depuis longtemps entre le Québec et les autres gouvernements au Canada.
Pour ce faire, je veillerai à ce que le Canada respecte l’esprit du fédéralisme. Je veillerai à ce que le Canada résiste à la tentation de la centralisation.
J’aimerais maintenant revenir aux débats sur la Confédération. En 1865, ainsi parlait George Brown, un des pères de la Confédération :
Nous devions opter pour une union fédérale ou abandonner les négociations. Non seulement nos amis du Bas-Canada sont contre cette idée, mais il en va de même pour la plupart des délégués des Provinces maritimes. Un seul choix s’offrait à nous : l’union fédérale ou rien 1.
Pour Brown, le seul Canada possible était un Canada fédéral. Pour un autre père de la Confédération, sir John A. Macdonald, la conclusion était la même. Il disait, le 6 février 1865 :
Maintenant, en ce qui concerne les avantages respectifs d’une union législative ou fédérale, je n’ai jamais hésité à donner mon opinion personnelle. J’ai maintes et maintes fois déclaré en Chambre que, si possible, je croyais qu’une union législative était préférable.
J ’ai toujours soutenu que si nous pouvions nous entendre pour avoir un gouvernement et un Parlement qui légiféreraient pour l’ensemble de ces peuples, ce serait le meilleur, le plus économique, le plus vigoureux et le plus fort système de gouvernement que nous puissions adopter.
Mais en réfléchissant au sujet de la conférence, et en discutant de cette question comme nous l’avons fait, sans ambages et avec le désir d’aboutir à une conclusion satisfaisante, nous avons constaté que ce système était irréalisable. En premier lieu, il ne recueillerait pas l’assentiment du peuple du Bas-Canada, parce que celui-ci avait l’impression que dans leur position de minoritaire – parlant une autre langue que la majorité dont il se démarquait également par sa nationalité et sa religion –, en cas d’union des provinces, ses institutions et ses lois risquaient d’être assaillies, et ses associations ancestrales, dont il était si fier, étaient menacées.
Nous avons alors constaté que toute proposition qui comportait l’absorption de l’individualité du Bas-Canada, si je puis employer cette expression, ne serait pas favorablement accueillie par son peuple.
Nous avons également constaté que même si leur peuple parlait la même langue et jouissait du même système législatif que le peuple du Haut-Canada, système basé sur le droit coutumier d’Angleterre, les diverses provinces maritimes n’étaient pas du tout disposées à perdre leur individualité, à titre d’organisations politiques distinctes, comme on l’avait constaté dans le cas du Bas-Canada.
Nous avons donc été contraints de conclure que nous devions soit abandonner toute idée d’union, soit concevoir un système d’union dans lequel chaque organisation provinciale serait dans une certaine mesure protégée. De telle sorte que ceux qui, comme moi, étaient en faveur d’une union législative, ont été contraints de modifier leur point de vue et d’accepter le projet d’une union fédérale comme étant la seule voie réalisable, même pour les provinces maritimes 2.
Quelques années après, en 1871, Wilfrid Laurier donnait au débat canadien des airs familiers.
Pour que le système fédératif ne soit pas un vain mot, pour qu’il produise les résultats qu’il est appelé à produire, il faut que les législatures soient indépendantes, non pas seulement de droit, mais de fait. Il faut surtout que la législature locale soit complètement à l’abri de tout contrôle de la législature fédérale.
Si, de près ou de loin, la législature fédérale exerce le moindre contrôle sur la législature locale, alors ce n’est plus en réalité l’union fédérale que vous avez, mais l’union législative sous la forme fédérale 3.
Le débat sur le fonctionnement du Canada est à notre vie politique ce que la Neuvième Symphonie de Beethoven est à la musique : un classique indémodable.
Je le dis avec un sourire, parce que c’est le propre des fédérations. Ce qui fait leur force, c’est que ce sont des systèmes dynamiques, toujours en adaptation par rapport à leur époque.
Mais qu’est-ce donc qu’une fédération? Allons à la définition. Une fédération, c’est une association de deux ordres de gouvernement qui sont chacun souverains dans leurs champs de compétence. Et les champs de compétence de ces deux ordres de gouvernement sont définis par la Constitution.
Par ailleurs, ce partage des responsabilités étatiques n’est pas le fruit du hasard. Il obéit à une logique qui peut être parfois la promotion de la diversité, parfois l’introduction de poids et contrepoids pour améliorer la qualité de la démocratie et, parfois, l’idée de la subsidiarité : quel ordre de gouvernement est le mieux placé pour livrer tel ou tel service?
Une fédération n’est donc pas hiérarchisée par opposition à un État unitaire comme la France, par exemple. Au Canada, le gouvernement fédéral n’est pas le patron des provinces. Chacun dans ses domaines de compétences les deux ordres de gouvernement rendent compte de leurs actions à leur électorat.
J’ai des comptes à rendre aux Québécois dans les domaines qui relèvent des compétences du Québec. Je n’ai pas de comptes à rendre au gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral a des comptes à rendre aux Canadiens dans les domaines de ses compétence. Il n’a pas de comptes à rendre au gouvernement du Québec.
C’est cela une fédération. Une fédération, par essence, est donc un système politique pluriel et asymétrique. Chaque gouvernement doit pouvoir faire les choses comme il l’entend pour assumer ses responsabilités.
Faire partie d’un État fédéral, ce n’est pas être enrégimenté dans un moule unique. C’est faire partie d’une communauté qui partage un territoire et des valeurs communes dans le respect de la différence de chacun de ses partenaires.
Je suis venu vous dire aujourd’hui qu’il est nécessaire que le Canada renoue avec l’esprit du fédéralisme et se détourne de ses tentations centralisatrices Je suis venu vous dire que l’avenir de la fédération canadienne, c’est … le fédéralisme!
Disons-le autrement. Ce qui nuit à la fédération, ce n’est pas que le Québec veuille faire les choses à sa manière. Ce qui nuit à la fédération, c’est quand on veut que les provinces et les territoires soient tous identiques.
Je vois cinq principes qui devraient habiter l’esprit fédéral au Canada.
Ces principes sont d'ailleurs porteurs de leçon non seulement pour la gouverne au sein d'une fédération, mais également, plus globalement, pour la gouverne en ce XXIe siècle.
Dans un premier temps, je vous énonce ces cinq principes :
Le respect,
La flexibilité,
La règle de droit,
L’équilibre,
La coopération.
Le premier principe qui doit être mis en avant pour raviver le fédéralisme canadien est donc le respect.
Il n’y a pas de saine coopération sans un profond respect de chacun des partenaires. Respect des compétences de chacun, respect des choix de chacun, respect de l’intelligence de chacun.
Le gouvernement du Québec, comme celui des autres provinces, ne constitue pas un sous-ordre de gouvernement. Et le gouvernement fédéral n’est pas à lui seul le gardien suprême du bien commun. Dans une fédération, chaque partenaire est gardien du bien commun dans ses domaines de compétence.
Sur cette question le jugement n’appartient pas au gouvernement fédéral, il appartient aux citoyens.
Le deuxième principe du renouveau du fédéralisme, est la flexibilité.
L’uniformité est l’utopie du XXe siècle. La voie du XXIe siècle est la flexibilité, le respect des différences et l’asymétrie.
C’est vrai dans le monde. C’est vrai au Canada. Si le Canada est né fédéral, c’est précisément pour organiser l’asymétrie, la différence et le respect des particularités des partenaires de cet immense pays. D’ailleurs, chaque province qui s’est jointe au Canada a été traitée différemment.
Le troisième principe, c’est le principe du droit.
Flexibilité ne veut pas dire absence de règles. Nous vivons dans une société de droit et cela doit demeurer. Au Canada, nous devons concilier nos pratiques avec le droit et le droit avec nos pratiques. Cela implique la possibilité d’aller devant les tribunaux, lorsqu’il y a désaccord sur les principes applicables.
C’est normal et légitime. Un débat juridique serein et sobre est parfois préférable à une dispute politique stérile qui s’éternise. Une décision d’un tribunal peut débloquer des dossiers, comme le renvoi sur les congés parentaux.
Le gouvernement du Québec ne se privera de ce recours au besoin.
Un État de droit, c’est un État au sein duquel il est possible de demander aux tribunaux de nous éclairer.
Par ailleurs, la nécessité de concilier le droit et la pratique peut aussi impliquer celle de modifier nos règles, si elles ne correspondent plus à ce qui est désiré.
Le quatrième principe : l’équilibre, l’équilibre fiscal et l’équilibre politique.
Sur ce point, je vais élaborer davantage.
Il ne peut y avoir de fédération équilibrée à long terme si un ordre de gouvernement se trouve dans une situation qui dénature le rapport entre les deux paliers de gouvernement.
Au Canada, il y a un déséquilibre fiscal. Ce déséquilibre n’est pas une invention, mais une réalité admise par tous les partenaires du Conseil de la fédération. Par trois partis politiques fédéraux et par la majorité des députés élus à la Chambre des communes.
Dans les années 1990, le rétablissement des finances fédérales a coïncidé avec une détérioration des finances des provinces. Le gouvernement fédéral a réglé son problème en coupant dans les transferts aux provinces.
Selon une étude du Conference Board réalisée à la demande du gouvernement fédéral, les surplus fédéraux, pour la période comprise entre 2004-2005 et 2014-2015, soit une période de dix ans, totaliseront 166 milliards de dollars.
Le gouvernement fédéral a des revenus supérieurs à ses besoins, alors que les provinces et les territoires, dont plusieurs sont déjà en déficit, ont des besoins supérieurs à leurs revenus. Il y a un déséquilibre entre les revenus et les responsabilités de chacun.
Quand le gouvernement fédéral dit aux provinces : « Vous n’avez qu’à augmenter vos impôts », il fait abstraction à la fois de la réalité et de l’histoire de ce pays. La réalité, c’est que le contribuable est le même pour les deux ordres de gouvernement et que sa capacité de payer n’est pas sans fin. L’Histoire, c’est que, si le gouvernement fédéral s’est enrichi, c’est en accaparant de façon unilatérale une plus grande part de l’impôt des Québécois et des Canadiens.
Laissez-moi vous lire un extrait d’un article très récent de l’Institut de recherche en politique publique. Ce texte a été publié en septembre 2004 par Thomas J. Courchesne :
Ottawa a surtout assaini ses finances en transférant son déficit aux provinces. Les principales initiatives prises dans ce sens consistaient dans les compressions massives de TCSPS que comprenait le budget 1995 de Paul Martin.
Même si la plupart des analystes voyaient dans ces compressions des coupures dans le transfert en matière de santé, elles ont eu précisément l’effet contraire. Comme la santé figurait en tête des priorités de toutes les provinces, on ne pouvait tout simplement pas y faire de coupure.
[…] Ce qui s’est passé dans toutes les provinces, c’est que les fonds étaient réaffectés d’à peu près partout pour maintenir, voire augmenter les dépenses en soins de santé.
Le résultat, c’est que, pour bien des provinces, les soins de santé représentent plus de 40 % des dépenses des programmes, et que ce chiffre continue d’augmenter, alors que les dépenses dans la plupart des autres secteurs sont à la baisse.
Ottawa y a vu la possibilité de contourner les provinces et de traiter directement avec ces secteurs à court de ressources financières, qu’il s’agisse des citoyens (bourses du Millénaire, chaires de recherche du Canada, prestation fiscale canadienne pour enfants, etc.) ou des villes (exemption de TPS et promesse d’un partage des recettes de la taxe de vente fédérale) 4.
Le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral est devenu, à la faveur du déséquilibre fiscal, un pouvoir d’intrusion dans les champs de compétence des provinces.
D’autre part, dans une fédération où la solidarité est une valeur fondamentale, comme la nôtre, nous devons également veiller à maintenir un équilibre fiscal entre les différentes régions du pays. Mais cela doit se faire, évidemment, dans le respect des principes du fédéralisme.
Au Canada, il existe un moyen par excellence destiné à redistribuer la richesse entre les partenaires afin que chacun soit en mesure d’offrir des services de qualité et une fiscalité comparables, et ce, aux citoyens dans toutes les régions du pays. Il s’agit de la péréquation.
La péréquation n’est pas un simple programme gouvernemental fédéral. C’est un volet de la constitution. C’est une obligation constitutionnelle. Je dois vous dire que nous avons encore du chemin à faire pour remplir pleinement cette obligation qui participe à l’essence même de notre pays.
Il y a donc du travail à faire pour rétablir un équilibre fiscal et financier au Canada, et par-delà, pour rétablir un équilibre politique.
Afin de pousser un peu plus la question des transferts, le Conseil de la fédération annoncera sous peu la mise en place d’un panel sur le déséquilibre fiscal. Le mandat de ce panel sera d’étudier et de présenter des recommandations pour corriger le déséquilibre fiscal au Canada. Cela inclura également l’examen de la péréquation, la formule de financement des territoires et le transfert social canadien.
Je tiens également à souligner que la Chambre des communes, à la majorité de ses députés, a approuvé la mise en place d’un comité spécial sur le déséquilibre fiscal. Cette initiative heureuse est conforme au discours du trône.
Le dernier principe, c’est la coopération.
Notre époque se caractérise par une très grande mobilité des biens et des personnes. Elle se caractérise aussi par l’émergence de problèmes suprarégionaux et souvent transnationaux comme l’environnement, la sécurité ou certaines questions relatives à la santé publique.
Gouverner n’est plus une activité qui s’accomplit en vase clos, comme à l’époque où le concurrent était de l’autre côté de la rue. L’interdépendance est devenue une réalité incontournable. Gouverner aujourd’hui, c’est coopérer. Et coopérer, dans un contexte fédéral, ça veut dire travailler ensemble sur des enjeux communs en reconnaissant que chacun peut aussi avoir des intérêts particuliers.
Au Québec, par exemple, nous insistons sur l’importance de la participation des provinces, sur le plan international, aux négociations de traités internationaux qui touchent nos compétences. D’autres provinces partagent cette revendication aussi fondée que sensée. Personne ne devrait contester le fait que le Canada est plus fort lorsque les provinces et les territoires peuvent s’exprimer.
Rappelons-nous que, même si Ottawa aimerait signer à son gré tous les traités, il ne peut les mettre en œuvre s’ils relèvent de la compétence des provinces. La coopération s’impose. Par ailleurs, nous croyons que, lorsque le gouvernement du Québec est le seul gouvernement compétent pour appliquer un engagement international, il est normal qu’il soit celui qui prenne cet engagement. En somme, il revient au Québec d’assumer, sur le plan international, le prolongement de ses compétences internes : ce qui est de compétence québécoise chez nous est de compétence québécoise partout. Cela dit, les divers gouvernements ont toujours pris soin d'exercer leurs compétences à cet égard dans le respect de la politique étrangère canadienne. C’est ça la coopération!
La coopération, c’est aussi, par exemple, l'Accord sur le commerce intérieur signé par toutes les provinces et le gouvernement fédéral. C’est le travail qui se fait sur le plan de la réglementation du commerce des valeurs mobilières. La coopération, peut également être les provinces qui font front commun en santé.
C’est précisément cette idée de coopération respectueuse de chacun que véhicule le Conseil de la fédération. Cette nouvelle institution de concertation a vu le jour, ici, à Charlottetown, en décembre dernier.
D’ailleurs, l’une des premières choses que j’ai faites lorsque je suis devenu premier ministre du Québec, ce fut de prendre contact avec mes homologues. J’ai rencontré Pat Binns et nous avons échangé nos visions de l’avenir du Canada. Les conseils de Pat et son analyse pénétrante ont beaucoup contribué à poser les premiers jalons des décisions que nous avons prises, ici, à Charlottetown, en juillet 2003.
Un des objectifs du Conseil est de promouvoir « les relations entre les gouvernements fondées sur le respect de la Constitution et la reconnaissance de la diversité dans la fédération ».
Dans le préambule de l’entente, on reconnaît l’importance « de l’existence de différences entre les provinces et les territoires, de sorte que les gouvernements puissent avoir des priorités et des choix différents dans leurs politiques ».
Le Conseil de la fédération joue un rôle important dans la fédération canadienne. Les provinces et les territoires ont créé une nouvelle institution qui permet, pour la premiere fois depuis longtemps, de donner une voix aux régions, aux provinces et aux territoires. Car il faut le reconnaître, le Sénat ne joue plus vraiment son rôle.
Le Conseil pourra ainsi contribuer, de façon aussi importante que le gouvernement fédéral, aux grandes orientations qui concernent le Canada dans son ensemble. Non seulement sa contribution est légitime, mais elle est surtout nécessaire.
Mes amis, ces cinq principes, respect, flexibilité, respect de la règle de droit, équilibre et coopération, doivent être mis en œuvre afin de dynamiser le fédéralisme dans son essence.
Réviser l’esprit du fédéralisme exige un modèle qui corresponde au développement de chaque société au sein de la fédération.
L’intérêt des Québécois dans la fédération canadienne sous-entend que cette fédération réussisse à respecter la différence du Québec.
Le Canada doit respecter l’esprit du fédéralisme pour le bien-être de ses citoyens. Cet esprit de coopération et d’ouverture envers les différences est ce dont nous avons besoin pour relever les défis avec succès.
J’accepte avec conviction et confiance le défi de défendre les intérêts des Québécois.
Je crois au Québec et je crois au Canada.
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1 The Confederation Debates in the Province of Canada/1865, p. 74
2 Discours devant la Conférence de Québec, le 6 février 1865
3 Discours devant l’assemblée législative, le 24 novembre 1871
4 Institut de recherche en politique publique, série Working paper, 2004-08, septembre 2004,
Thomas J. Courchesne, "The changing nature of Quebec Canada relations from the 1980 referendum to the
Summit of Canadas."
On peut lire l'original sur le Site officiel du premier ministre du Québec - Jean Charest.