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Marchés, Géopolitique, Sécurité énergétique et Énergie durable 19e Congrès international sur l'énergie, Sydney, Australie • 5-9 septembre 2004
Marchés, Géopolitique, Sécurité énergétique et Énergie durable
George Anderson
Discours principal, session 3 : Marchés, Géopolitique et Sécurité énergétique
C'est à la fois un honneur et un défi stimulant de m'adresser à un auditoire de hauts spécialistes sur cette vaste question des marchés, de la géopolitique et de la sécurité énergétique. Je me propose néanmoins d'élargir quelque peu le sujet en y ajoutant le concept au centre même de cette session du Congrès — une énergie durable. Aborder ce sujet exige de la modestie en raison de ses incertitudes, de sa complexité et de son étendue. Ce n'est pas en vingt minutes que je vais vous présenter, à vous physiciens, une théorie unificatrice phénoménale. En revanche, je vais vous vous faire part de certaines de mes observations et de mes questionnements qui peuvent présenter un intérêt pour le débat sur l'énergie au vingt-et-unième siècle et son évolution dans le futur, probablement différente de ce qu'elle fut dans le passé.
Les facteurs géopolitiques Imaginons que cette rencontre a lieu en septembre 1973, voilà bien plus de trente ans maintenant. Nous serions à la veille du plus important bouleversement à se produire dans l'histoire moderne de l'énergie — les deux chocs pétroliers et leurs conséquences. Seraient-ils nombreux ceux qui anticiperaient de tels chocs ? Ou ceux qui auraient pu prévoir une nouvelle chute encore plus prononcée des prix du pétrole ? Ou ceux qui prédiraient l'essor [pétrolier] de la Mer du Nord ou l'envolée de la production de pétrole dans le Golfe du Mexique ? Ou les formidables progrès des techniques de forage en pleine mer, des techniques de puits horizontaux et anti-sismiques ? Ou encore la baisse des coûts d'exploration des sables bitumineux et de la liquéfaction du gaz naturel (LNG) ? Et dans combien de boules de cristal aurait-on vu les inimaginables changements des contours géopolitiques du monde : la chute de l'empire soviétique, l'émergence d'une économie de marché remarquablement robuste en Chine, et de plus en plus en Inde – avec toutes les implications en termes d'approvisionnement et de demande en énergie ? Les trois dernières décennies ont été incroyablement riches en surprises et en bouleversements dans le secteur global de l'énergie. À y regarder de plus près, comme il est frappant de s'apercevoir que ce sont principalement des raisons de géopolitique qui ont impulsé les mutations de ce secteur. Les chocs pétroliers sont survenus pour des motifs géopolitiques, et non pour des raisons de fonctionnement naturel des marchés. Il est évident, jusqu'à un certain point, qu'ils ont été facilités par le pouvoir de certains pays producteurs d'influer sur le marché et que la réactivité du marché a fini par ramener de l'ordre dans les prix du pétrole – c'est bien là son rôle –; mais les facteurs géopolitiques ont été prédominants. Les prix élevés [du pétrole] ont amené à investir dans la recherche de nombreuses nouvelles technologies, et pas seulement celles de l'extraction du pétrole mais aussi celles des énergies renouvelables et des économies d'énergie – tout comme dans l'exploitation très coûteuse du pétrole de certaines provinces, notamment en haute mer. Il y a similitude indéniable de facteurs géopolitiques, dans la chute de l'empire soviétique et les mutations impressionnantes de la Chine; les effets majeurs de ces facteurs sur les besoins en énergie et sur les questions d'approvisionnement énergétique ne cessent de s'accumuler. Dans les trois prochaines décennies, verrons-nous les facteurs géopolitiques – plus particulièrement les plus importants : les ruptures et les violentes convulsions dans les relations internationales – déterminer de façon aussi évidente l'évolution du secteur de l'énergie ? Cette question, je la pose aujourd'hui où la question du terrorisme est à l'avant-scène, où un règlement au conflit Israël – Palestine semble encore très loin et où les rapports entre l'Occident et le monde musulman sont exceptionnellement tendus. Il serait bien aventureux de ne prédire aucune surprise géopolitique. Et les surprises peuvent être de nature positive – comme le fut la fin du communisme – mais elles peuvent tout aussi bien avoir un caractère nuisible. Mon intention ici n'est pas de spéculer sur différents scénarios de géopolitique, mais je veux néanmoins faire quelques observations. Pour ce qui concerne le pétrole, tout indique que les marchés développeront une dépendance de plus en plus marquée à l'égard de l'Organisation des pays producteurs de pétrole [OPEP], et plus précisément des États producteurs du Golfe. Plus que jamais, la région du Golfe [Arabo-Persique] sera l'arène géopolitique où évoluera tout le système pétrolier. On peut échafauder de nombreux scénarios tous différents les uns des autres pour cette région du Golfe : de celui plutôt positif d'une stabilisation de l'Irak et des pays alentour, à d'autres bien plus sombres. Il est très probable que la Russie et les anciens États soviétiques deviennent d'importants producteurs de pétrole (et de gaz aussi) ; les sujets de nature géopolitique sur cette région du monde sont réels, et pourraient bien affecter le cours des événements. Sur cette question, mon point de vue diffère de celui de M. Chubais. Considérons l'aspect de la demande /des besoins : la Chine et l'Inde, dont les économies sont en très forte expansion — pour ne citer que les plus impressionnantes —, vont jouer sur la scène mondiale un rôle tant économique que politique de plus en plus affirmé, et seront parmi les plus gros consommateurs de pétrole en provenance du Golfe. Par ailleurs, en raison de leur dépendance au pétrole plus importante que celle des économies des pays de l'OCDE, ces deux pays sont plus réactifs aux fluctuations des prix du pétrole. On peut ainsi s'attendre à ce que la Chine et l'Inde deviennent de nouveaux acteurs de poids en matière de géopolitique du pétrole. Quant au gaz, même s'il est assuré que le commerce international [de cette ressource naturelle] va s'accroître considérablement, il est très improbable qu'il ait la même importance en termes de géopolitique que le pétrole. Le marché gazier n'est pas autant mondialisé que celui du pétrole et les pays importateurs disposent de sources d'approvisionnement plus diversifiées et politiquement plus stables que pour le pétrole. Certains analystes discutent de l'émergence éventuelle d'un « Gazpec », mais ils sont bien plus nombreux ceux pour qui cette hypothèse reste fort improbable. Il en est de même pour le charbon dont le commerce augmentera, mais qui n'aura pas vraiment d'importance stratégique majeure. Sans même aucune surprise géopolitique de taille, les plus importants importateurs de pétrole vont se montrer de plus en plus préoccupés de leur degré de dépendance par rapport au pétrole du Golfe. Il paraît évident qu'une surprise démesurément préjudiciable au marché pétrolier — comme un arrêt rigoureux de la fourniture de pétrole ou une hausse vertigineuse des prix du pétrole — représenterait un brusque virage à la fois en termes de stratégies géopolitiques que de réglementations en matière de sécurité énergétique, plus particulièrement pétrolière.
Les marchés Examinons maintenant la question des marchés. Au vingtième siècle, le marché de l'énergie était dans son ensemble un marché assez peu ouvert. Il était soumis à toutes sortes d'interventions visant à : protéger les producteurs ou les consommateurs ; stabiliser les prix ; limiter ou promouvoir la demande d'une ressource particulière ; ou assurer une sécurité à long terme. Ces interventions étaient dues aux philosophies d'alors et à de simples facteurs de politique économique. Plus particulièrement les politiques en matière d'énergie suivaient une logique toute différente, déterminée par l'importance des intérêts locaux pour la production de charbon, de pétrole ou de gaz, ainsi que par l'évolution des politiques de protectionnisme et de subventions. Durant tout le vingtième siècle, des tensions se faisaient ressentir entre les forces du marché et les intérêts des producteurs de pétrole. En période d'abondance du pétrole, le marché influence la baisse des prix du pétrole ainsi que la production par les zones productrices de pétrole à prix relativement bas. Ainsi, l'histoire du secteur pétrolier ne cesse d'être ce jeu entre les forces exercées par le marché et les contre-mesures adoptées en retour par les producteurs : le contingentement de la production, les droits d'importation de pétrole afin de protéger la production locale, et la cartellisation internationale. Il est vrai que la stabilité des prix du pétrole, ou une base minimale des prix, peut être bénéfique : cet argument pèse en faveur de la réglementation raisonnable du marché. Par ailleurs, certains intérêts particuliers peuvent toujours faire monter les exigences. Comment donc concilier les arguments du long terme et les arguments du court terme ? Un premier exemple est celui des États-Unis qui avaient préféré initialement une exploitation de leurs propres gisements pétroliers, à des coûts relativement bas, dans le seul but de promouvoir leur industrie [pétrolière] nationale. Un deuxième exemple est celui des pays de l'OPEP qui imposèrent, suite aux deux chocs pétroliers, d'importantes hausses des prix, ce qui en définitive n'avait fait que préparer le terrain à la chute fracassante des prix, comme des parts de marchés de l'OPEP, survenue peu après. Mon observation est qu'il n'est pas réaliste de s'attendre à ce que seules les forces du marché déterminent l'évolution des différentes économies dans le monde en matière d'énergie. Cela dit, la considération pour les mécanismes des marchés observée aujourd'hui est plus grande qu'il y a quinze ou vingt ans — ceci s'observe encore plus pour les économies en transition ou en développement. Les pays de l'OCDE, plus particulièrement, ont fait preuve de plus de rigueur pour l'élaboration de politiques d'énergie en concordance avec les marchés. Même si l'on considère les interventions sur les marchés de l'énergie, ceci reste toujours vrai — car les instruments utilisés, comme les échanges de droits d'émission [de gaz à effet de serre], ont été élaborés de façon à tenir compte des forces des marchés. Les principales questions gravitant aujourd'hui autour de la fonction des marchés traitent en majeure partie des conditions d'investissement. L'Agence internationale de l'énergie [AIE] a apporté une contribution plus qu'appréciable en procédant à la révision des besoins en investissements à long terme de l'ensemble du secteur de l'énergie. L'une de ses interrogations porte sur la capacité des pays en développement — à part certains — de mobiliser les capitaux nécessaires [pour répondre] aux besoins colossaux en investissement dans l'électricité. Certains sont confrontés à des défis politiques de correction des graves distorsions de marchés, où les producteurs d'électricité perçoivent une part du coût de leurs services alors que les consommateurs doivent être subventionnés. L'AIE est également préoccupée par les pays de l'OCDE qui n'ont pas redéfini leur marché de façon à l'adapter à la libéralisation globale des marchés de l'électricité. Ces deux points ont en commun de souligner la nécessité de procéder à des tests de marché préalables en vue d'investissements privés. Si le capital privé est nécessaire, les investisseurs privés doivent trouver des satisfactions. Une autre des préoccupations majeures concerne la mise en place dans la région du Moyen-Orient des conditions propices aux investissements de manière telle qu'elle puisse assurer les deux tiers de la croissance de la production totale de pétrole jusqu'en 2030. Les besoins du Moyen-Orient ne sont pas véritablement considérables – en raison des coûts [de production] bien plus bas qu'ailleurs, comparés notamment aux coûts [d'exploitation] des sables bitumineux au Canada – mais leur aspect stratégique est important. En décourageant l'investissement – de façon générale, ou en restreignant l'accès des investisseurs étrangers – ces pays pourraient favoriser un retour à des hausses encore plus fortes du prix du pétrole, à un ralentissement de la croissance économique dans le monde, et une conséquence sérieuse serait des revenus encore plus limités pour les pays de l'OPEP. Toutes ces questions sont bien évidemment très liées à la stratégie adoptée par l'OPEP – ou telle que définie par ses différents membres. Au sein même des pays gros exportateurs de pétrole s'expriment diverses considérations clairement significatives sur le rôle du capital étranger et sur les taux que doivent atteindre les investissements privés dans le secteur du développement de l'énergie.
La sécurité énergétique J'aborde à présent la question de la sécurité énergétique. Au lendemain des deux chocs pétroliers, cette question était d'une extrême importance puis peu à peu, elle a perdu de sa pertinence avec le retour d'un approvisionnement abondant et de prix du pétrole bon marché. À l'heure actuelle, la question réapparaît dans toute sa vigueur. Cette année, elle a été au centre des discussions entre les ministres de l'Énergie des pays occidentaux et des pays de l'APEC [Asia-Pacific Economic Cooperation], au Forum international sur l'énergie tenu à Amsterdam. Les prix élevés du pétrole ont mis en plein jour la vulnérabilité des marchés pétroliers, même en présence d'événements totalement exogènes – comme les situations en Irak, au Venezuela et au Nigeria – dont l'impact peut être considérable. La sécurité énergétique recouvre plusieurs significations. Après l'imposante panne d'électricité du mois d'août dernier, nous avons pris conscience, nous qui habitons en Amérique du Nord, que les systèmes d'électricité fiables font partie aussi de la sécurité énergétique. En outre, la menace du terrorisme a mis en lumière la nécessité de protéger les infrastructures [d'entreposage/de distribution] d'énergie. L'aspect fondamental de la sécurité énergétique a toujours concerné le pétrole – on évoque ici la vulnérabilité des marchés en cas d'interruption d'approvisionnement de pétrole ou de manipulation excessive des prix du pétrole. Cela tient à la prédominance en valeur dévolue des échanges commerciaux internationaux des produits énergétiques et au fait que le commerce international est un élément primordial du secteur économique du pétrole. En 2000, 45 % de l'approvisionnement total en pétrole provenait de l'extérieur des pays consommateurs ; en 2030, il pourrait représenter jusqu'à 60 %. Le pétrole est le produit- matière première le plus politisé. Ce n'est que le pétrole qui a subi des interruptions délibérées d'approvisionnement et des escalades de prix volontairement entretenues. La [situation dans la ] région du Moyen-Orient et les prix élevés du pétrole ont fait de la question de la sécurité énergétique la question majeure durant les actuelles élections présidentielles américaines. À long terme, la presque totalité du pétrole utilisé en Amérique du Nord proviendra de ses importations. Ce n'est pas que cela soit particulièrement alarmant – l'Europe et le Japon sont déjà dépendants des importations de pétrole, dans de plus fortes proportions – mais il est juste de poser la question de l'impact de cette dépendance grandissante sur les stratégies de l'unique superpuissance mondiale. Les deux candidats américains, Bush et Kerry, ont chacun des points de vue très différents sur le sujet. Les économies des pays de l'OCDE deviennent progressivement moins axées sur le pétrole, et jusqu'à un certain point cela diminue leur vulnérabilité à l'insécurité énergétique. À l'opposé, tous les producteurs de pétrole de la zone de l'OCDE, excepté le Canada, font face à une production de pétrole sur le déclin, à des besoins accrus en pétrole et à une augmentation de la demande de pétrole de l'étranger. Comme je l'ai évoqué au début de mon exposé, le rôle de la Chine, de l'Inde, et des autres pays en émergence et en forte croissance, déterminera de façon très intéressante la tournure des événements de géopolitique en matière de sécurité énergétique. Tous ces pays atteignent une étape de leur développement où leurs besoins en pétrole s'intensifient et les rendent ainsi plus dépendants des importations de pétrole. Ces nouveaux pays en émergence sont donc potentiellement les plus exposés à l'absence de sécurité énergétique ; cela, ajouté à leur poids de plus en plus affirmé dans les relations internationales, pourrait avoir dans les années à venir des implications considérables sur l'évolution des politiques internationales du pétrole. Ainsi l'enjeu, à mon sens, est celui de la primauté de plus en plus évidente de la politique énergétique tant dans les pays de l'OCDE que dans les économies émergentes actuellement en forte croissance.
L' Énergie durable Me voici arrivé au thème central de cette conférence — l'énergie durable. L'énergie durable a deux dimensions fondamentales : un approvisionnement durable et une utilisation durable. Jusqu'à une époque encore récente, parler d'énergie durable c'était évoquer uniquement son approvisionnement durable. Ainsi comprise, l'énergie durable ne désignait qu'un aspect particulier de la sécurité énergétique. Le Club de Rome, au début des années 1960, en avait fait un point central, prédisant de terribles pénuries des ressources qui ne se sont jamais avérées, ce qui a de beaucoup amoindri la crédibilité du concept. Pourtant, le temps est une donnée incontournable, et un nouveau débat fort stimulant prend forme autour de la question de la production globale de pétrole « à son sommet ». Entre les années 1850 et 2002, ce sont 718 milliards de barils de pétrole qui ont été consommés dans le monde. Dans les vingt prochaines années, c'est approximativement le même volume qui sera consommé à l'échelle internationale. Puis dans la période qui suivra, toujours le même volume mais en moins de vingt ans. La plupart des géologues estiment que les ressources récupérables mondiales s'évaluent entre 2 et 3 billions de barils, là est bien le drame. Selon certains de ces géologues, la production suit une courbe arrondie puis commence à décliner une fois la moitié des ressources récupérables épuisée. Il est fort probable que l'âge du pétrole prendra fin au cours de ce présent siècle ; la question reste à savoir quand sera atteint le pic de production et quand commencera le déclin. Les discussions sur les sommets de production du pétrole sont très polémiques, et les camps opposés n'hésitent pas à se traiter les uns les autres d'ânes et de grandes oies. Aussi, je m'avance sur ce terrain avec précaution. Il faut le dire : les incertitudes sont grandes. Une étude réalisée par la US Energy Information Administration [département d'information sur l'Énergie des États-Unis] a révélé que ces pics de production seraient atteints entre 2030 et 2075 – l'écart est considérable –, la première des deux dates ayant des implications majeures sur les stratégies à suivre. Les pessimistes les plus en vue annoncent que ces pics vont être atteints à une date bien plus rapprochée. Selon l'observateur neutre, Bob Williams, président et directeur de la rédaction du Oil and Gas Journal, le débat sur les sommets de production est désormais plus qu'un simple débat théorique et il affectera de façon considérable les décisions des responsables publics. Il est absolument urgent, à son point de vue, de réfléchir sérieusement sur les questions des données et des méthodologies autour du sujet de la production potentielle de pétrole dans le monde. Je dois dire que je partage son avis. Il se pourrait que les restrictions sur les investissements, particulièrement dans les États du Golfe, pèsent encore plus qu'une menaçante pénurie des ressources dans la, ou les deux, prochaine(s) décennie(s). Quoi qu'il en soit, ce défi qu'est le niveau potentiel de la production de pétrole dans le monde a atteint une telle échelle que l'idée même de restrictions au niveau des investissements devrait être plus largement prise en compte aujourd'hui que dans le passé, dans les esquisses des différents scénarios. Cet aspect des investissements pourrait avoir d'importantes implications pour les prix du pétrole, la géopolitique et les réflexions stratégiques sur les différentes options concernant l'énergie. Pourtant, comme cela s'est fait entendre au cours de cette conférence, le point focal du débat actuel sur l'énergie durable porte sur l'utilisation durable de l'énergie, et non sur la production. Le plus souvent au cours des trente dernières années, il a mis en lumière les questions locales de l'air et de l'eau purs, ainsi que des pluies acides. De même, les préoccupations de sécurité énergétique et des prix élevés du pétrole ont favorisé les efforts entrepris en matière d'énergies autres que le pétrole et de rendement énergétique, questions qui bénéficiaient d'avantages écologiques. Il reste encore beaucoup à faire dans les pays les plus avancés pour continuer à emporter des victoires dans les domaines de l'eau et de l'air purs, malgré les progrès évidents réalisés ; il est pourtant juste de dire que les défis spécifiques de l'air et de l'eau purs n'ont pas intrinsèquement d'incidences majeures sur la nature de nos comportements énergétiques : nous connaissons les solutions, et ces dernières peuvent être, tout bien considéré, adaptées aux méthodes d'utilisation actuelles, à un certain coût fort probablement. Dans les pays aux économies en développement ou en transition, il est évident que la situation est tout autre et même plus délicate. Ces pays sont confrontés à des défis démesurés en ce qui concerne l'eau et l'air purs, d'autant plus que leur consommation d'énergies fossiles s'est considérablement accrue. Mais là aussi, avec le temps, on peut imaginer qu'ils suivront la voie des pays les plus avancés dans la gestion de leur environnement et des conséquences écologiques, en grande conformité avec les modèles de production et de consommation des pays développés. Le changement climatique est un autre dossier. Les émissions de gaz carbonique dans l'atmosphère à des niveaux sauvegardant un développement durable vont exiger une transformation radicale de nos comportements énergétiques – très probablement il faudra finir par réduire le niveau des émissions de gaz à effet de serre jusqu'à un dixième du niveau actuel, qui se rapporte à celui de la production économique. Comme nous en avons largement débattu, le changement climatique est au coeur de notre utilisation d'énergies fossiles. Il a commencé sérieusement à prendre forme sur nos tableaux indicateurs dans les années 1990 ; pourtant bien trop peu de mesures concrètes rigoureuses ne furent adoptées. Le Canada est un des pays signataires du Protocole de Kyoto; il a entrepris une série d'initiatives importantes à long et à court terme pour s'attaquer au changement climatique, et pourtant nous nous rendons compte combien la route sera longue et difficile et aussi que l'effort à mener doit être collectif et international. Mon but n'est pas de proposer l'élaboration de mesures et de stratégies potentielles, je souhaite juste faire quelques observations et souligner le lien qui peut exister entre le changement climatique et la géopolitique, les marchés et la sécurité énergétique. Cet aspect de la question de la politique de l'énergie est le plus controversé, à l'origine d'affrontements sérieux des points de vue et des intérêts. Un de ces affrontements se produit particulièrement au sein des pays avancés. Il semble parfois que le seul dialogue est un dialogue de sourds entre des Martiens à tête dure et des Vénusiens doux rêveurs, si j'utilise l'image d'un livre récemment publié. Les Martiens ne se préoccupent que de sujets rudes : concurrence, approvisionnement d'énergie et sécurité. Les Vénusiens réfléchissent aux questions de préservation à long terme de l'environnement et de systèmes énergétiques sans danger pour l'environnement, et de la nécessité de mutations radicales. Un deuxième affrontement se produit entre les économies ayant atteint les unes et les autres différents niveaux de développement. Il s'agit du débat très fréquent sur le partage du fardeau. Il peut d'ailleurs recouvrir le premier différend car les Martiens seront plutôt intraitables sur cet aspect de partage du fardeau, alors que les Vénusiens seront d'avis que les pays les plus avancés doivent agir en premier parce que leurs économies sont dominantes et parce que ce n'est là que justice. Je ne suis pas aussi naïf pour croire que ces désaccords vont s'aplanir facilement ou rapidement. Pourtant, les préoccupations grandissantes de la sécurité énergétique et des prix à long terme présente un terrain d'entente pour tous les camps qui sont unanimes à penser qu'il faut s'attaquer à la question du taux de croissance de la consommation de pétrole. Certaines mesures peuvent avoir un impact bénéfique bien plus important que d'autres, comme par exemple développer la promotion des nouvelles technologies prometteuses dans le secteur des transports. Par ailleurs, il existe un large consensus sur l'importance de la recherche et du développement (R&D), et du transfert de technologies. L'engagement général, tant public que privé, dans la recherche et le développement dans le secteur de l'énergie, a beaucoup diminué et ne représente qu'un pourcentage dérisoire de ce qu'il devrait être face aux défis à relever. Je suis convaincu qu'il nous faut accorder plus de notre attention aux stratégies de coopération internationale en R&D dans le secteur de l'énergie, y compris de transferts technologiques dans les pays en développement. Le gouvernement du Canada propose que 5% de nos programmes de R&D se réalisent en partenariat avec les pays du Sud de la planète. La recherche et le développement sont certainement une partie de la solution au défi [de l'utilisation] du charbon. On peut conclure à l'avance que le charbon sera une source au moins aussi importante d'émissions de CO2 que le pétrole. Par contre, la préoccupation est vraiment faible quant à la sécurité de son approvisionnement ou même quant à ses prix à long terme. En fait, le charbon devient une source d'énergie très attrayante en termes économiques face à la hausse des prix du pétrole et du gaz. En revanche, malgré l'application de mesures environnementales concernant les émissions de CO2 dues au charbon, le niveau des émissions de gaz carbonique serait en fait peu affecté. Une stratégie charbonnière plus efficace et plus à long terme devrait reposer sur des actions et des forces différentes. Un examen rigoureux des aspects techniques est absolument nécessaire, et le Canada appelle de tous ses voeux une coopération internationale sur les questions des technologies charbonnières propres et de séquestration du carbone – j'assisterai à la prochaine réunion ministérielle se déroulant à Melbourne, en Australie, la semaine prochaine et j'y représenterai le Canada.
Quelques conclusions En conclusion, nous sommes entrés depuis peu dans une toute nouvelle période où les relations internationales sur les questions énergétiques seront très différentes de ce qu'elles furent. Nous continuerons à faire face aux risques et aux incertitudes géopolitiques, et les préoccupations entourant la sécurité énergétique continueront de croître. Le pétrole restera la ressource énergétique la plus stratégique et la plus politisée. Parallèlement, les questions d'énergie durable et de potentielles restrictions sur les investissements énergétiques seront de plus en plus examinées de près – les raisons étant essentiellement liées au changement climatique et vraisemblablement aussi aux restrictions des investissements et des ressources énergétiques. Il sera intéressant de voir comment les anciennes et les nouvelles préoccupations s'emboîteront. Les acteurs dominants, et le rôle qu'ils joueront, changeront aussi comme le centre de gravité de la production de pétrole se déplace et retourne à la région du Moyen-Orient, alors que l'Asie devient un consommateur de plus en plus vorace en énergie. Une chose est tout à fait certaine : l'intérêt et les défis seront présents. Je souhaiterais être un jeune homme et vivre cela.
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